Marie-Claude Barroche : les « funambules de la vie » lui disent merci !
« Lorsque notre second fils a été hospitalisé pour la première fois en 1994, à 20 ans, et que des troubles psychiques graves ont été diagnostiqués, toute la famille a connu un moment très difficile. Il y avait bien eu quelques signes précurseurs : Albert faisait tout beaucoup plus lentement que les autres enfants, mais la prise de conscience a été brutale ».
Même si la voix est douce et posée, c’est toujours avec émotion que Marie-Claude Barroche évoque l’événement qui a bouleversé sa vie de et celle de ses proches. Vingt ans après, elle continue de présider Espoir 54 (voir la fiche Apriles sur la bibliothèque des livres vivants d’Espoir 54), l’association gestionnaire qu’elle a contribué à créer en 1998 avec d’autres parents de personnes handicapées psychiques...
Et elle achève la fusion de la fédération nationale des associations gestionnaires pour l’accompagnement des personnes handicapées psychiques (AGAPSY) au sein d’une toute nouvelle fédération nationale "Santé Mentale France" : « elle verra le jour le 2 juin prochain : un aboutissement qui aura nécessité un lent et patient travail de conviction», reconnaît-elle, sans toutefois avouer qu’elle a porté le projet pendant les sept années de sa présidence.
Car ce qui frappe de prime abord, chez Marie-Claude Barroche, c’est sa modestie. « Mon père était instituteur dans un tout petit village du canton de Fribourg et nous vivions dans un logement de fonction au-dessus de la salle de classe sans chauffage central ni eau chaude. Nous subvenions à nos besoins grâce à quelques lapins, poules, abeilles et aux légumes du potager. Nous n’étions pas malheureux mais les gestes de tendresse comme les jouets n’avaient pas leur place chez nous. Ma mère voulait que ses filles soient parfaites » De cette enfance austère, Marie-Claude hérite aussi d’une volonté à déplacer des montagnes dignes de sa Suisse natale ! Et il en faut dans les années 90 à cette jeune maman, nancéenne d’adoption et mère de quatre enfants, pour faire face à l’absence de reconnaissance qui entoure à l’époque ceux que l’on qualifie encore de « fous ».
Confrontée au quotidien de la maladie, Marie-Claude, qui continue en parallèle à exercer son métier de bibliothécaire à l'université de Lorraine, lit, se documente, cherche à comprendre : « l’étude de Martine Bungener, Trajectoires brisées, famille captives : la maladie mentale à domicile, a été une vraie révélation. Elle affirmait que les malades et leurs proches pouvaient être partie prenante de leur parcours de vie et que l’interaction entre tous les acteurs est essentielle ». Lors de ses séjours familiaux en Suisse, elle découvre aussi l’avance formidable de ce pays, où les personnes handicapées psychiques bénéficient d’une vraie réhabilitation psycho-sociale au sein de la cité : lieux d’accueil et de rencontres impliquant les habitants du quartier, comme la fondation Trajets à Genève ; Institut maïeutique de Lausanne, qui s’appuie sur les ressources propres de la personne et surtout le Groupe d’accueil et d’action psychiatrique (GRAAP) dont Marie-Claude ne loupera pas un congrès. « C’était extraordinaire de voir que la parole des malades ou des familles était prise en considération au même titre que celle des soignants, que des spécialistes médecins et universitaires se mettaient à leur niveau pour expliquer la maladie et ses implications, qu’ils faisaient confiance à l’expertise d’usage de leurs patients ! ».
La discrète se fait alors militante : «En France, à la sortie de l’hôpital, il n’y avait rien, aucune structure pour accueillir les personnes, les accompagner, les aider à se reconstruire ». Marie-Claude cherche un soutien auprès de l’UNAFAM (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques), puis très vite, avec d’autres parents réunis au sein d’Espoir 54, frappe à toutes les portes pour trouver de quoi financer un projet de Service d’accompagnement à la vie sociale : « la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales et le conseil général se renvoyaient la balle, mais nous avons réussi à convaincre le Président Michel Dinet et en octobre 2000, il signait l’ouverture du premier SAVS pour handicapés psychiques de Lorraine. C’est toujours le seul aujourd’hui… ». Puis ce sera la création d’un dispositif d’insertion en milieu ordinaire de travail (DIMO) et en 2006, l’aventure des Groupes d’entraide mutuelle (GEM). « Nous nous sommes développés avec la volonté de créer des structures à taille humaine, qui mettent en avant les personnes qu’elles accompagnent et leur permettent d’être reconnues pour leurs qualités, leur empathie, leur vulnérabilité. Les personnes handicapées psychiques savent ce qu’est la difficulté de vivre et ont beaucoup à nous apprendre en matière d’entraide. »
C’est pourquoi, dès la naissance d’Espoir 54, à l’exemple des dispositifs suisses, l'association est conçue autour d'un trépied : professionnels, bénévoles et usager y ont leur place. « Il n’était pas concevable d’opposer les uns aux autres. Au départ, nous avons mis en place des ateliers de création et de resocialisation où bénévoles et usagers pratiquent ensemble toutes sortes d’activités (le théâtre, la marche,…), organisent des goûters. Ce compagnonnage crée une forme de relation plus confiante, plus complice et souvent facilitatrice pour les professionnels, même si ces derniers ont pu être initialement déroutés. Sans compter que les bénévoles sont totalement investis dans le changement des représentations sur la santé mentale ». Aujourd’hui, Marie-Claude Barroche souhaite aller encore plus loin : « au GRAAP, de nombreux professionnels sont d’anciens usagers et plusieurs des personnes que l’on accompagne sont demandeuses pour devenir pair-aidants. Ce recours à l’expérience des anciens patients est déjà expérimenté dans certaines structures sanitaires. Reste à convaincre élus et financeurs pour le médico-social ! ».
Après plus de 15 ans d’engagements au quotidien, parfois au détriment de sa vie personnelle, les yeux de Marie-Claude Barroche continuent de pétiller lorsqu’elle évoque ses projets. Et son léger accent trainant s’accélère lorsqu’elle s’agace que la politique publique donne si peu de place aux valeurs associatives et à celles de l’économie sociale et solidaire : « plutôt que de nous écraser sous les contraintes administratives, de nous mettre en concurrence les uns avec les autres, il faut accorder plus de confiance aux acteurs de terrains et reconnaître la légitimité d’associations qui restent fragiles. ». Mais ne vous trompez pas : derrière l’allure impeccablement classique, la douceur du sourire et l’expression policée, elle n’est pas prête à céder au découragement. Car pour Marie Claude, ce qui compte plus que tout, c’est bien de pouvoir lire, dans les yeux de ceux qui ont fait un bout de chemin à Espoir 54, le bonheur et la reconnaissance d’une estime retrouvée.