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Bertrand Schwartz : le père des missions locales s'en est allé

Président - Association «Moderniser sans exclure».
Portrait

Le décès de Bertrand Schwartz, le 30 juillet dernier, au milieu de l’été, est presque passé inaperçu. En écho à l’hommage public qui lui sera rendu le 28 septembre à Paris par l’Union nationale des Missions Locales, Apriles a souhaité saluer la mémoire de ce défenseur infatigable de l’insertion, notamment des jeunes, et innovateur dans l’âme, à l’exemple de la démarche portée par l’association « Moderniser Sans Exclure », dont Apriles s’est fait récemment l’écho. Mais, c’est aussi l’homme de conviction et d’engagements, soutien de la première heure du Collectif Fraternité, que nous saluons une dernière fois, par la plume de François Le Merlus, sociologue, consultant auprès de l’Odaset proche de Bertrand Schwartz.

La formation professionnelle n’existerait peut-être pas sans l’intervention de Bertrand Schwartz. La validation des acquis de l’expérience non plus. Et pourtant, toutes emblématiques que soient ces actions, elles ne sont qu’une petite partie de l’engagement de cet infatigable expérimentateur.
Il aimait à dire : « Les personnes en savent plus qu’elles ne croient et plus que nous ne le pensons ». Son entourage et ses études dans les plus prestigieux lycées et grandes écoles de Paris, ne le destinaient pourtant pas a priori à développer une énergie considérable pour tous ceux qui n’avaient pas eu sa chance. Un emprisonnement dans l’Espagne franquiste, et un stage d’ouvrier mineur ont sans doute aussi influencé cet homme épris de justice, à l’écoute, et dont le dialogue est la forme privilégiée d’expression.

L’humble pédagogue, aimé des apprenants et respecté de tous
En effet, diplômé des plus prestigieuses écoles, ancien élève de Polytechnique, ingénieur au corps des Mines, docteur ès sciences, Bernard Schwartz a toujours témoigné d’une attention aux autres et d’une simplicité peu fréquentes. Dans un premier temps formateur à l’École des Mines de Nancy, il constate les dysfonctionnements d’un enseignement essentiellement théorique. Puis nommé directeur, il transforme fondamentalement la manière d’enseigner, par l’adaptation des contenus aux savoirs et savoir-faire indispensables, tout en encourageant l’autonomie et le goût de la recherche personnelle des étudiants. Ainsi, l’esprit de coopération, l’évaluation et l’auto-évaluation permanentes deviennent des piliers de sa démarche pédagogique. Les conférences disparaissent au profit d’une pédagogie aujourd’hui reconnue sous le nom de « Classe inversée ».
Loin des cénacles de la connaissance, le pédagogue se confronte également aux réalités vécues par des personnes en difficulté face aux apprentissages, et plus essentiellement en attente de considération et de confiance en elles. A la demande de la CGT, il s’investit dans la reconversion collective des mineurs de fer du Bassin de Briey (Meurthe-et-Moselle, auxquels il propose également de former leurs épouses.
Croiser les savoirs théoriques et techniques, les cultures universitaires et entrepreneuriales, prendre en considération la globalité et la complexité des personnes et des situations était sa ligne de conduite. Il fut le premier récipiendaire du prix Grawmeyer, considéré comme équivalent, pour la pédagogie notamment, d’un prix Nobel.

Donner une chance à chacun
Alors Premier ministre du premier gouvernement de François Mitterrand, Pierre Mauroy, confie à Bertrand Schwartz la rédaction d’un rapport sur l’insertion des jeunes. Celui–ci mobilise une équipe de jeunes chercheurs, universitaires, innovateurs issus de l’Agence pour le Développement de l’Éducation Permanente afin d’élaborer le document. En 1982 sont créées dans l’enthousiasme les Missions Locales, ainsi que deux Missions Régionales Jeunes : une en PACA, à l’origine de notre première collaboration, l’autre dans le Nord-Pas-de-Calais. Il est alors Délégué interministériel à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, fonction dont il saura s’affranchir des contraintes.
Car plus que tout, Bertrand Schwartz aime expérimenter, trouver les moyens et méthodes permettant à des salariés, des demandeurs d’emploi de faible niveau de qualification de démontrer qu’ils sont capables d’acquérir les compétences nouvelles attendues par les entreprises. C’est le cas de la démarche « Nouvelles qualifications », visant, en étroite collaboration avec les entreprises, à promouvoir une conception plus concrète, précise et progressive de la relation entre formation et emploi. Et pour laquelle le Ministère du travail lui confiera une mission qui mobilisera des centaines d’entreprises et organismes de formation.
C’est également l’objectif de la démarche d’Auto-médiatisations, conduite par l’association Moderniser Sans Exclure, et l’occasion d’une seconde collaboration. Expertisée par Apriles (consulter la fiche action sur le sujet), cette utilisation de la vidéo pour briser les stéréotypes et valoriser des personnes en situation d’insertion, des jeunes de quartiers difficiles ou des bénéficiaires du RMI, a ainsi permis à des milliers d’acteurs du public et du privé, professionnels et bénévoles, de confronter leurs représentations avec les réalités vécues par ceux dont ils peuvent contribuer à changer la vie ou pour lesquels ils décident.

L’homme libre, engagé au service d’une éthique
Inféodé à aucun Parti politique, à aucune chapelle intellectuelle, toutes les actions de Bernard Schwartz auront avant tout été guidées par les valeurs de justice, de solidarité, de probité intellectuelle et de fraternité. Ce sont ces mêmes valeurs qui l’ont conduit à s’engager en faveur du Collectif Fraternité, porté par Jean-Louis Sanchez. Et c’est encore en leur nom que Simone Veil le distinguât en lui remettant le Prix de l’éthique. La confiance qu’il savait créer, la bienveillance qu’il manifestait à chacun va nous manquer, en ces temps de défiance. Reste l’exemple d’une démarche qui privilégie avant tout le développement du lien social, dont les textes officiels et les référentiels de formation des travailleurs sociaux semblent enfin reconnaître aujourd’hui la nécessité.

François Le Merlus