Châtel-en-Trièves, une commune rurale qui carbure à la citoyenneté
Type d'action
- Développement social
- Lien social
- Partenariat / transversalité
- Pratiques professionnelles
Département
Isère (38)Sur le vif
« Ce que l’on a tous compris collectivement c’est que dans une petite commune comme la nôtre, si le maire est tout seul avec sa secrétaire de mairie il ne fait rien, il déprime. Mais s’il comprend qu’il a une communauté avec lui, des habitants prêts à se remonter les manches pour sauver une école ou pour ouvrir un café épicerie, ça change la vie. Et c’est ça que Châtel-en-Trièves a compris », la maire de Châtel-en-Trièves.
« Je suis partie d’une vision plutôt technique de la participation avec ma casquette de secrétaire de mairie. C’est comme ça qu’on a créé le café épicerie. Maintenant que je suis maire, j’ai une vision plus politique. Je vois ma fonction en rendant concret le « droit au village ». J’estime que pour être un citoyen accompli, on doit pouvoir avoir une capacité d’agir locale. Pour moi, le rôle du maire, c’est d’ouvrir le champ des possibles dans le territoire du possible qu’est la commune. C’est la ligne politique de Châtel-en-Trièves. Pour tous les habitants de Châtel-en-Trièves, si quelqu’un veut porter un projet, il faut que ce soit possible », la maire de Châtel-en-Trièves.
Porteur(s) de l'action
Commune de Châtel-en-Trièves
Objectif(s) et bref descriptif
A Chatel-en-Trièves, commune rurale de l’Isère, la participation des habitants permet des transformations profondes de la commune et le renforcement des liens entre habitants. Commune nouvelle issue de la fusion de deux petites communes, Saint-Sébastien et Cordéac, en proie à la désertification se sont donné les moyens de renaître grâce à leur fusion et à la participation citoyenne. Un exemple concret de la façon dont la participation des habitants, favorisée et facilitée par la commune, permet de répondre en partie aux difficultés rencontrées par les communes rurales.
Origine(s)
Châtel-en-Trièves est une commune iséroise des Préalpes françaises, aux confins du massif du Dévoluy et à 50 km au sud de Grenoble, née le 1er janvier 2017 de la fusion de deux communes : Cordéac et Saint-Sébastien.
Dès le début de la période révolutionnaire en 1790, date de la création des communes, ces deux anciennes paroisses étaient rassemblées pour constituer, durant quelques décennies, la commune de Saint-Sébastien et Cordéac-en-Morges. Dans la deuxième partie du XIXème siècle, de longues démarches procédurières, conséquence des conflits religieux, opposant les communautés protestantes et catholiques, conduiront à une séparation prononcée en 1865, séparation qui ne durera pas moins de 150 ans.
En 1975, les deux communes, victimes de l’exode rurale, totalisaient 261 habitants, mais à partir des années 2000, le nombre d’habitants va augmenter : 371 habitants en 2000, 460 en 2010, jusqu’à 491 au dernier recensement de 2021 pour la nouvelle commune de Chatel-en-Trièves, issue de la fusion des deux villages.
Comme la plupart des petites communes rurales, Saint-Sébastien et Cordéac sont confrontées à de nombreuses difficultés : isolement, éloignement des services publics, dévitalisation des centres-bourgs, vieillissement de la population…, auxquelles s’ajoutent des budgets modestes, une faible ingénierie avec peu d’agents (secrétaires de mairie ou employés municipaux) qui n’aide pas à mener des projets ambitieux et structurants. Sans compter le spectre de la désertification subie dans les années 1970.
Une situation que comprend bien la nouvelle secrétaire de mairie. Embauchée en 2014, elle a une formation d’urbaniste avec un mémoire de fin d’étude sur la participation citoyenne et une expérience en cabinet de consulting en milieu urbain.
Les prémices d’une culture de participation citoyenne
Un an plus tard, la commune récupère une friche de 3 hectares au cœur du village. La mairie souhaite y bâtir le centre bourg, jusqu’alors inexistant. Afin de mener à bien ce projet et qu’il réponde au mieux aux besoins du territoire, la secrétaire lance, avec le soutien du maire d’alors, des ateliers participatifs. Il s’agit de donner la parole aux habitants sur la réorganisation du centre-bourg. L’idée maîtresse fixée par le maire c’est de « faire village » avec les habitants. L’initiative semble bien perçue, puisque dès la première réunion publique de lancement, 80 habitants, sur les 205 que compte le village, sont présents.
S’en suit la mise en place d’ateliers de consultation et de co-construction du projet. Pendant 4 mois, au sein de 2 ateliers réunissant chacun une quinzaine de personnes (1 atelier sur le bâti et 1 atelier sur les espaces extérieurs), les habitants réfléchissent ensemble aux futurs aménagements. Dès le départ, le cadre est posé : ce lieu doit être pensé comme le nouveau centre bourg où les habitants pourront se rencontrer ; le mot d’ordre est de mettre de côté les projets personnels et de ne rendre qu’une feuille A4 de propositions par atelier d’où la nécessité de se mettre d’accord ; enfin, c’est au conseil municipal que revient la décision finale. Cependant, ni le maire ni les élus ne participent à ces ateliers afin de ne pas « freiner » la parole des habitants. C’est donc la secrétaire de mairie qui anime les ateliers.
De ces ateliers émergent plusieurs propositions :
- La création d’un café-épicerie associatif ;
- La création d’une carrière équestre communale ;
- La création d’un jardin partagé ;
- La nouvelle implantation de la mairie.
Le conseil municipal valide l’ensemble des propositions. L’étape suivante consiste à chercher les financements : un gros travail de constitution de dossiers de subventions commence pour la secrétaire de mairie et les élus.
Des facteurs de réussite qui favorisent l’engagement des habitants
L’arrivée de la secrétaire de mairie, avec son savoir-faire en termes de méthodologie participative, avec l’utilisation d’outils et une organisation performante pour éviter l’éparpillement et l’essoufflement, s’est révélée moteur dans l’impulsion de la participation citoyenne. La posture du maire, donnant la vision mais restant en retrait lors des ateliers participatifs est également un facteur de réussite.
Par ailleurs, à travers ce premier projet de création du centre bourg, les habitants comprennent que seul, un maire de petite commune et ses élus et agents ne peuvent pas faire beaucoup sans l’engagement des habitants.
La première graine de la participation citoyenne est plantée. Et alors que les recherches de financement sont en cours, les habitants décident de s’auto-organiser et vont constituer des associations pour préparer les futurs usages du site. Trois associations voient alors le jour :
- O’Talon pour la gestion du café épicerie ;
- Graine de Partage pour le jardin partagé ;
- L’étalon Bastien pour la gestion de la carrière équestre.
Le cumul du nombre de personnes adhérentes aux 3 associations avoisine les 150… soit au moins une personne par foyer. Les élus comprennent alors qu’une dynamique est en marche dans le village.
Un élan participatif qui favorise l’acceptation et l’appropriation de grands projets par les habitants
A quelques encablures de Saint-Sebastien, la commune limitrophe de Cordéac compte la seule école élémentaire (comptant une seule classe) à plusieurs kilomètres à la ronde. En effet, Saint-Sebastien a vu son école fermer 40 ans plus tôt. Un traumatisme encore vivant dans l’esprit des habitants. Alors, lorsque qu’en 2016, l’Éducation nationale annonce la fermeture de l’école de Cordéac, le choc est intense.
Les habitants décident de ne pas baisser les bras et vont rapidement se ranger derrière la proposition formulée par les élus : fusionner les deux communes pour sauver l’école afin de retenir, voire d’attirer des familles. Une décision grandement facilitée par tout le travail de participation développé à Saint-Sébastien depuis deux ans qui a permis de tisser des liens de confiance entre les élus et les habitants et de faire la preuve de l’impact de la mobilisation citoyenne.
Le 1er janvier 2017, la naissance de la commune nouvelle de Châtel-en-Trièves permet le maintien de l’école élémentaire sur la nouvelle commune.
En 2018 et 2019 la transformation du centre bourg est lancée : construction de la mairie, rénovation d’un ancien bâtiment pour l’installation du café épicerie, création du jardin partagé et de la carrière équestre. Certaines phases sont menées à travers des chantiers participatifs auxquels participent les habitants. Les quatre projets sont inaugurés et le centre bourg de Saint-Sébastien présente un nouveau visage et attire de nouveaux professionnels : un local de kinésithérapeutes s’installe au centre bourg, une ostéopathe les rejoindra en 2023.
Description détaillée
Après quelques années en tant qu’instigatrice et cheville ouvrière de ces transformations profondes, la secrétaire de mairie est définitivement adoptée par les élus et les habitants. En 2020, elle se présente à la tête de sa commune et remporte les élections. L’élue plaide dès lors pour un « Droit au village », soutenant l’idée qu'il faut remettre la citoyenneté au cœur de la démocratie, redonner une place à chacun dans les processus de décision (voir notre portrait d’acteur sur le sujet : https://odas.apriles.net/portraits-d-acteurs/fanny-lacroix-plaidoyer-pour-un-droit-au-village).
La fusion des deux communes nourrit une réflexion et des interrogations. Comment resserrer les liens et susciter un sentiment d’appartenance commune entre les habitants des deux anciennes communes ? Comment ne pas provoquer un sentiment de délaissement d’un territoire par rapport à l’autre ?
Des questionnements qui trouvent leurs réponses à travers : la participation citoyenne et le soutien des associations afin de favoriser les liens ; la répartition des services publics sur les deux territoires afin de créer une double centralité et de ne pas faire naître de sentiment de délaissement.
Dès 2021, de nouveaux projets voient donc le jour. A Cordéac, on inaugure un espace de loisirs et on lance une réflexion participative sur la création d’un espace de restauration collective attenant à l’école et ouvert aux séniors du village. A Saint-Sébastien, on ouvre la maison des marionnettes et lance le premier Festival de marionnettes qui a désormais lieu chaque année.
Mais certaines difficultés émergent. En 2022, le café-épicerie associatif ferme suite à des dysfonctionnements dont les raisons sont diverses (répercussion de la crise de la COVID, changement de présidence, luttes de pouvoirs internes…).
Structurer la participation…
La fermeture du café épicerie est vécue très durement et va conduire à une réflexion pour repenser le lieu, mais aussi à une réflexion plus globale. La maire souhaite inscrire le village dans un dispositif de tiers-lieu. Emerge alors la notion de village tiers-lieu guidée par une problématique : comment rendre possible, dans l’espace du village, une contribution de n’importe quel individu à l’histoire collective du village ?
En 2023, l’association « Châtel Village » est créée pour répondre à cette problématique et structurer la participation citoyenne, moteur du développement du village. Objectifs :
- Donner un droit à chaque habitant de participer à la vie de la commune (Droit au village) ;
- Éviter l’entre soi ou la prise de pouvoir par un groupe ;
- Permettre aux élus d’arbitrer sur les décisions à prendre en fonction des moyens disponibles.
« Châtel Village » a pour objet principal la redynamisation du village de Châtel-en-Trièves, en portant des actions de développement social, culturel, touristique, de service public et économique du village, et notamment en rouvrant le café. Elle propose des actions, des chantiers en s’appuyant sur des besoins, des idées et des compétences locales.
L'ensemble des habitants, des acteurs économiques, des associations et l'équipe municipale de Châtel-en-Trièves sont conviés à intégrer les quatre collèges (habitants, associations, acteurs économiques, élus) qui se réunissent en collégiale toutes les 6 semaines. Les membres des collèges sont élus pour un an. Ces collèges permettent de faire remonter les propositions et interrogations de chaque type d’acteur et d’apporter une certaine vigilance aux travaux effectués au sein de commissions thématiques (animations/événements, services, bar/restauration, communication, gouvernance), ouvertes à tous les habitants, afin de travailler sur des projets précis. Chaque projet correspond à un besoin exprimé par les citoyens.
Par ailleurs, Châtel Village joue le rôle d’«assemblier » des associations et la mairie est très présente en s’engageant à mettre à disposition des 20 associations de Châtel Village des moyens techniques (barnums, prêt de locaux, d’espaces, soutien technique, etc…) dans un cadre de respect mutuel et d’effort collectif.
En parallèle, un poste d’animatrice/coordinatrice est créé afin de faciliter la dynamique d’implication citoyenne. Il sert de relais entre la mairie, les associations, les entreprises et les habitants. L’animatrice sillonne le village, va à la rencontre des habitants, les écoute, leur transmet les informations. Elle mène un travail de médiation pour faire retomber les potentiels conflits, de mobilisation des forces vives, d’identification des ressources et de mise en lien des différents acteurs. Chaque nouvel habitant est reçu par l’animatrice qui présente les différentes associations où chacun peut adhérer en fonction de ses souhaits et de sa disponibilité. En somme, elle anime le « droit au village » (droit à la connaissance, à l’information et à l’implication) et met de l’huile dans les rouages dans une perspective de prévention, d’animation du territoire, de développement local. Son rôle est beaucoup plus relationnel qu’administratif.
Des boucles WhatsApp permettent aux participants de rester en lien.
Son rôle est aussi de rappeler la place de la commune : celle-ci peut faciliter les initiatives citoyennes, cependant ce sont toujours les élus, portés par leur légitimité électorale, qui ont le dernier mot sur les projets mis en œuvre par la commune.
…pour faire émerger de nouveaux projets et consolider l’existant
En 2024, suite au travail de réflexion mené dans le cadre de Châtel Village, le restaurant « Au Châtel » ouvre dans les locaux de l’ancienne épicerie associative. Un gérant (acteur privé) est choisi par Châtel Village avec un contrat tripartite (Mairie/Châtel Village/ gérant). La même année, le poste d’animatrice est pérennisé et devient un plein temps, des conférences débat sont organisées avec des experts afin d’ouvrir des espaces de réflexion, des projets municipaux ponctuels sont organisés autour de « La commune a besoin de vous » (un système d’appel aux habitants pour mener à bien des projets d’intérêt collectif), des travaux de débroussaillage sont menés par les habitants sur des sentiers pédestres communaux choisis collectivement par Châtel Village.
D’autres projets sont en cours de développement :
- « Bien manger à Châtel-en-Trièves » est un projet important constitué de 2 volets :
- Création d’une cuisine centrale à La Marmotière (service public géré par la mairie) qui assurerait la restauration collective de la commun.
- Sur un terrain de Châtel-en-Trièves confié à l’association SITADEL (Sud Isère Terri Agri Develop Local), création d’un outil de production alimentaire collectif : des producteurs locaux se regroupent pour approvisionner en circuit court les structures de transformation alimentaire du territoire (cantine, restaurants…) ;
- Réhabilitation de l’école de Cordéac ;
- Ouverture d’une cantine intergénérationnelle attenante à l’école pouvant accueillir régulièrement des personnes âgées du village ;
- Ouverture d’une école maternelle ;
- Amélioration sur la mobilité intervillages et création de jeux intervillages.
Bilan
Points positifs
- Participation active des habitants à la vie de la commune et possibilité de participer à la vie locale (lien social) par le biais de Châtel Village ;
- La participation des habitants a permis de revitaliser le village et d’augmenter son attractivité : maintien de l’école élémentaire, développement du tissu économique, ouverture de services de proximité (restaurant, coiffeur, kinésithérapeutes, ostéopathes) ;
- La participation des habitants redonne du souffle au mandat du maire, particulièrement difficile et chronophage dans les petites communes rurales, et permet de mener des projets qui n’auraient pas vu le jour autrement ;
- Cette politique de participation citoyenne favorise les liens entre habitants renforçant ainsi les solidarités de proximité. C’est en somme une approche de prévention globale.
Points d’attention
- Une des difficultés est la recherche de l’équilibre entre démocratie représentative et démocratie participative. Cette préoccupation doit être constante afin de ne pas vider de son rôle le conseil municipal et veiller à entretenir la confiance avec les habitants. En effet, le conseil municipal est tenu de respecter, dans ses décisions, le point de vue des habitants, surtout si ces derniers se sont exprimés clairement sur un sujet particulier. En 2024, après un gros travail de présentation du projet d’installation d’éoliennes sur un terrain communal (réunions, conférences d’experts) porté par certains élus, les habitants se sont prononcés contre à la suite d’un référendum, ce qui a créé des tensions entre la maire, qui a tenu à respecter l’avis des habitants au nom de la démocratie participative, et le conseil municipal ;
- Il est difficile pour le maire d’une petite commune rurale de sortir de son rôle de gestionnaire et d’« homme (ou de femme) à tout faire » car il n’a pas les moyens humains de faire autrement. Il répond à l’attente des habitants et s’épuise dans des tâches multiples matérielles ou administratives. Cela est au détriment du temps nécessaire pour l’élaboration d’une vision politique de la ruralité et de sa déclinaison opérationnelle ;
- Se lancer dans la participation citoyenne, c’est accepter l’éventualité d’un échec, ce qui est toujours difficile à vivre. Il est nécessaire d’accepter de passer le relais à d’autres en cas d’impasse.
Moyens
Pour l'animation du territoire : 1 ETP financé sur le budget de la mairie.
Contact
Fanny LACROIX
Commune de Châtel-en-Trièves
Adresse : 97 Grignolet, 38710 Châtel-en-Trièves
Tél. : 04 76 34 92 79
Courriel : accueil@chatel-en-trieves.fr
Site web : https://chatel-en-trieves.fr/
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