Yvette Bruneau-Thénard: "Le théâtre témoignage a une portée universelle"
Yvette Bruneau-Thénard habite la cité Gagarine à Ivry-sur-Seine depuis 1999. Passionnée de théâtre, et convaincue de l’importance de s’investir dans son environnement, elle a conçu en 2005 une pièce à partir de la parole de ses voisins. Une démarche de théâtre témoignage exportée jusqu’en Allemagne, qui a redonné de la fierté aux habitants.
Apriles: « Il était une fois Gagarine, souvenirs de cité… » que vous avez jouée en février au colloque « faire société autrement » a remporté un franc succès. Pouvez-vous nous présenter la pièce ?
Yvette Bruneau-Thénard: C’est une petite forme jouée avec mes deux partenaires, Véronique Leraie et Anne Kadri, qui raconte l’histoire de la Cité Gagarine à Ivry-sur-Seine (94), de son inauguration en 1961 à nos jours. C’est un patchwork qui présente les uns après les autres les temps forts de la vie de la cité. En mettant le quartier et ses habitants ainsi en lumière, nous avons voulu rendre leur fierté à Gagarine. Pour l’écriture, je me suis plongée dans les archives de la ville, j’ai fait un travail de fourmis pour en extraire les éléments marquants et les témoignages de vie.
Apriles: Vous avez aussi recueilli la parole des habitants de la cité.
Y B-T: De mes voisins en fait, puisque j’habite moi-même à Gagarine. En 2005, je participais aux réunions du comité de quartier organisées en préparation d’une opération de renouvellement urbain. Ma pratique du théâtre était connue. On m’a dit « vas-y Yvette, monte nous quelque chose ». Il s’agissait de préparer une animation théâtrale pour la fête du 44ème anniversaire de la cité. J’ai donc travaillé sur le matériau récolté aux archives avec mes deux partenaires et nous avons joué la pièce le jour J. L’accueil a été excellent. Nous avons voulu prolonger l’expérience en demandant aux personnes présentes, ce qui, pour eux, serait la cité Gagarine rêvée. Il y a eu des choses très sérieuses mais aussi des choses vraiment loufoques que nous avons ajoutées au spectacle.
Apriles: La pièce a bien tourné ensuite…
Y B-T: Oui, on l’a jouée dans des appartements d’amis d’abord, puis dans des cafés citoyens, dans les maisons de retraite, jusque dans des festivals de Paris à Berlin (festival international contre la misère organisé par ATD Quart-Monde en 2007). On s’est peu à peu rendu compte que, grâce au théâtre témoignage, à la parole recueillie, on tenait quelque chose de fort. Ce type de création porte une pensée universelle dans laquelle tout le monde se reconnaît. Mais au-delà, en travaillant sur une période de plus de quarante ans, ce qui m’a frappé, c’est l’évolution du la parole institutionnelle à l’égard des habitants. Il y a une oscillation entre des périodes où les institutions disent vouloir s’occuper de tout, et d’autres au contraire où elles demandent aux populations de se gérer elles-mêmes. Cette distorsion peut générer dans les quartiers un certain fatalisme et participer aux phénomènes de perte d’identité. Avec notre démarche, nous essayons de redonner leur valeur aux choses et aux gens.
Apriles: C’est pour cela que vous avez fondé le collectif « On YVA » ?
Y B-T: Ça, c’est le nom donné à notre formation, composé des initiales de chacune d’entre nous. Pour le portage administratif, c’est l’association POTHEAM (POësie-THEâtre-AMitié) créée par Anne Kadri qui nous soutient. Avec le collectif, nous poursuivons aujourd’hui la démarche avec un nouveau spectacle intitulé « Tranches et tronches de vie », mis en scène avec l’aide précieuse d’Isabelle Labrousse. Egalement conçu à partir de paroles recueillies auprès d’une dizaine de personnes, l’histoire raconte le week-end à la campagne de trois femmes de générations différentes. Elles se retrouvent, se souviennent des amours, des anecdotes, des accidentes de la vie, se faisant, elles se livrent et se révèlent l’une à l’autre. Trois portraits de femmes, tout en nuance et en sensibilité…
Propos recueillis par Sébastien Poulet-Goffard
Contact: Collectif on YVA / Vanina Filippi, chargée de communication : 06 75 20 72 79