Aller au contenu principal

Vanessa Krycève : avec le RECHO, faire de la cuisine un vecteur de lien social et de vivre ensemble

Cheffe cuisinière, fondatrice du Récho
Portrait de Vanessa Krycève

Engagée et touche-à-tout, Vanessa Krycève est animée par cette flamme que l’on connaît chez les personnes passionnées. Comédienne à l’origine, elle se forme à la cuisine et se passionne pour la pâtisserie. Elle fait ses classes chez Ladurée, puis Pierre Hermé. Parallèlement, elle devient journaliste culinaire, avant de rejoindre la brigade de Guy Savoy, chef étoilé qui la forme à la haute gastronomie. Elle devient alors cheffe cuisinière et consultante en restauration. En 2016, elle fonde le RECHO une association dont le but est de cuisiner pour et avec les migrants et de développer le vivre-ensemble par la cuisine. Depuis ses interventions dans les camps de migrants, le projet de l’association a évolué et le RECHO a ouvert à Paris la Table du RECHO : un restaurant d’insertion inclusif et solidaire qui forme des personnes réfugiées aux métiers de la restauration. Entretien…

Comment est né le RECHO ?

Plusieurs choses sont à l’origine de ce projet : les différentes crises (économique, écologique, de l’accueil…), le choc des attentats du 13 novembre au Bataclan, mes grands-parents juifs qui ont connu l’exode... Mais le déclic s’est fait en mars 2016, en pleine crise des réfugiés. Ma sœur qui habite en Allemagne m’envoie alors un SOS pour m’indiquer qu’elle vient de croiser la route d’un couple de réfugiés syriens qui faisait la manche. Le couple avait été pris en charge la veille dans un centre d’accueil, mais ils avaient faim. Le centre avait voulu les nourrir, bien sûr, mais… avec de la soupe au porc. Une aberration pour moi ! L’accueil et l’hospitalité, ça passe par la table. J’ai donc appris en direct l’existence d’une nouvelle crise, la crise de l’accueil.

En tant que cheffe cuisinière, à l’instant même, j’ai eu envie de cuisiner, de tout mon cœur. Pour tous ces visiteurs contraints qui découvrent le sol d’un pays étranger qu’ils n’ont pas toujours choisi. Pour réparer ma honte, notre honte, j’ai eu envie de réchauffer, d’inviter à ma table, dans mon refuge, le monde entier. Je ne pouvais plus m’ôter cette idée fixe de la tête : j’avais envie de cuisiner pour eux et de découvrir leur histoire par le prisme de leur cuisine. La cuisine conduit à la rencontre de l’autre en mettant tout le monde sur un même pied d’égalité, c’est un langage universel qui rassemble, fédère et crée du lien.

J’en ai donc parlé à Elodie, une amie, également cheffe cuisinière et déjà engagée dans des actions de restauration solidaire. Elle a tout de suite été séduite par l’idée. Nous en avons parlé à nos proches et nous sommes retrouvées rapidement à une douzaine de femmes, toutes désireuses de contribuer à un meilleur accueil, plus chaleureux, plus humain des personnes réfugiées, exilées. C’est ainsi que l’association le RECHO (pour REfuge, CHaleur et Optimisme) est née avec comme but de fédérer, de créer du lien à travers la cuisine, entre les populations accueillantes et les populations accueillies. Afin de contribuer, à travers le geste de cuisiner ensemble, à changer le monde.

Femmes de tous horizons dans unfood truck, souriant à l'objectif.

Le RECHO, qu’est-ce que c’est concrètement ? Qu’est-ce qu’il s’y passe ?

En premier lieu, c’est une aventure humaine. Chacune d’entre nous a mis ses propres compétences et ses réseaux au service du projet et on s’est partagé les tâches. On a toutes des profils différents, on est quelques-unes à être cuisinières professionnelles, d’autres sont formatrices, animatrices, consultantes, manager en marketing, communicantes ou encore artistes, interprètes, comédienne. Ensemble nous avons décidé de nous rendre dans les camps d’accueil pour porter un message d’hospitalité, de générosité et de chaleur humaine en invitant les populations réfugiées et les populations accueillantes à cuisiner ensemble afin de créer du lien social. Avec toujours en tête notre idée de départ qui est « Restaurer le monde en restaurant les Hommes ».

Pour concrétiser ce projet, nous avons lancé une campagne de financement participatif qui nous a permis d’acheter un food-truck. Puis, en août 2016, nous avons posé notre cuisine mobile dans le camp de migrants La Linière à Grande-Synthe (59). A côté du camion il y avait une grande tente, où on faisait des ateliers de cuisine avec les réfugiés, et où on pouvait aussi y partager les repas.  Nous avons tout de suite pris conscience que s’asseoir ensemble autour d’une même table pour partager le repas ne s’était encore jamais fait. C’était un premier défi de rassembler les gens dans ce lieu très individualiste où tout le monde mange vite, mal et dans son coin. Après quelques jours, nous avons constaté un changement d’atmosphère sur le camp : les gens étaient plus gais, plus attentifs, plus respectueux. Nous avons alors compris l’importance de ce rendez-vous pris ensemble autour de la table.

Réfugiès devant le food truck du Recho, servis par des bénévoles

Lors de cette première mission nous avons eu la joie d’accueillir une soixantaine de bénévoles venus de partout en France. Ils ont apporté leur énergie et ont contribué à ce changement de dynamisme. Sans le prétexte de la cuisine, la plupart d’entre eux n’auraient jamais mis les pieds sur un camp. Le Maire, Damien Carême, nous a également beaucoup soutenu, il a participé à chaque fois que l’on venait à Grande-Synthe. Des grands chefs sont aussi venus nous aider et nous soutenir. Nous avons même réussi à faire embaucher quelques réfugiés dans des restaurants dans le Nord ou sur Paris.

Et puis, pendant deux ans nous avons sillonné les routes de France et de Belgique pour animer des ateliers de cuisine et rapprocher les populations locales et réfugiées. Nous avons été dans les camps de migrants, avons participé à des soirées caritatives, à des festivals dont les bénéfices nous ont permis de financer d’autres voyages...

Depuis la naissance du RECHO, votre action a beaucoup évolué, pouvez-vous nous raconter ?

Oui, après avoir été dans les camps de réfugiés, nous avons voulu passer à l’échelle d’une ville. En octobre 2018, après des mois de préparation, nous avons installé le Grand RECHO pendant deux semaines dans la ville d’Arras. C’était un restaurant éphémère et solidaire dans lequel réfugiés, habitants, bénévoles, associations et chefs cuisiniers se sont rencontrés, ont cuisiné ensemble, ont partagé leurs savoir-faire et leurs recettes, raconté leur pays à travers la cuisine. C’était formidable, un grand moment[1].

Depuis nous avons eu l’opportunité de nous installer dans le centre d’hébergement d’urgence Les Cinq Toits. Situé dans une ancienne caserne de gendarmerie à Paris, c’est un complexe d’activités favorisant l’insertion des réfugiés et géré par l’association Aurore et Plateaux Urbains[2]. C’est ainsi qu’en juin 2019 on a ouvert la Table du RECHO, un restaurant d’insertion, solidaire, responsable, écologique, durable, intergénérationnel.

Deux réfugiés cuisinent avec une bénévole.

On a souhaité mettre en place une action dans la durée, ainsi le RECHO propose différentes activités. Comme les ateliers de cuisine collaborative « melting-popottes » qui proposent un samedi sur deux de faire cuisiner ensemble riverains et résidents afin de créer ensemble un buffet pour environ 120 personnes. Chacun y fait découvrir ses recettes et ses savoir-faire et ce buffet solidaire est servi à prix libre par les participants à partir de 19h30. Il y a aussi un volet portage/partage de repas cinq jours par semaine. Des résidents des Cinq Toits, accompagnés d’un bénévole de l’association portent aux séniors du 16ème arrondissement un panier repas, contre une contribution libre, à partager ensemble à l’heure du déjeuner pour faire plus ample connaissance.

Nous avons également une offre traiteur, ainsi qu’un food truck installé dans le jardin, bien utile en ces temps de crise sanitaire pour proposer des repas à emporter. Et bien sûr, le restaurant, une entreprise d’insertion qui embauche et forme sept personnes en insertion grâce au « dispositif premières heures ». C’est-à-dire que nous accompagnons des résidents, des personnes statutaires qui peuvent travailler, vers une formation pérenne aux métiers de la restauration. Ça veut dire qu’une personne qui rentre chez nous et qui vient apprendre le métier à nos côtés pourra vraiment voir toute une série de volets de la restauration durable.

Car il n’y a pas de social sans écologie et il n’y a pas de restauration aujourd’hui sans penser le volet écologique. La lutte contre le gaspillage alimentaire et le manger sain sont donc aussi des valeurs du RECHO. Nos produits sont locaux et bio, en provenance de circuits-courts, dans le respect des saisons. En France les restaurants représentent deux tiers de la consommation d’énergie du secteur du commerce. Le RECHO s’engage à réduire au maximum ses émissions de CO2, à n’utiliser aucun produit toxique et à recycler tous ses biodéchets.

 

Avec le restaurant on veut bousculer les codes du métier et former à une restauration éthique et durable. Par exemple, en participant à la coordination des repas préparés chaque jour par la Communauté Ecotable, qui a fédéré plusieurs associations, on a prouvé que nourrir en grand nombre de manière saine, responsable, tout en serrant les prix était possible. Pendant le confinement on a ainsi servi 800 repas par jour, 35 000 en tout, allant de l’aide alimentaire aux plus démunis jusqu’aux repas de tout le personnel hospitalier. On a montré qu’un autre type de restauration collective est possible. Pour moi l’enjeu c’est que cette forme de restauration soit un levier pour la transition écologique.

 

Comment voyez-vous l’avenir de cette action ?

On est sur une occupation temporaire, ce qu’on appelle des occupations intercalaires. C’est devenu la spécialité de l’association Aurore de repérer et d’intégrer des locaux qui sont laissés vides pendant quelques temps par la mairie. Notre bail se termine donc en septembre 2021, date à laquelle l’ancienne caserne que nous avons investie va se transformer[3].  Nous espérons continuer notre partenariat avec Aurore pour aller ailleurs. Ensuite si l’activité traiteur se développe bien comme ce qui est en train de se passer, il faudra sans doute la dissocier et avoir un vrai laboratoire de production, ou pourquoi pas une cuisine centrale qui nous permette d’être plus flexible pour des occupations d’une semaine ou quinze jours. Il y a aussi des lieux sympas, des manifestations où l’on pourrait s’intégrer. Cela nous donnerait la possibilité aussi de montrer au public que l’on accompagne toutes les facettes du métier.

Notes :

[1] Une grande aventure, qui a d’ailleurs été retracée dans un livre qui est paru en novembre 2020, le Grand RECHO.

[2] Situé dans une ancienne caserne de gendarmerie à Paris, les Cinq Toits vise à « favoriser le vivre-ensemble en expérimentant la mixité des publics et des activités. Venues d’ici ou d’ailleurs, 350 personnes y sont hébergées. Des locaux sont également mis à disposition de 35 artisans, artistes, entrepreneurs sociaux et acteurs associatifs afin de constituer un tissu économique, social et culturel au service de l’insertion. Un restaurant solidaire, un petit jardin, des terrasses, un Pôle Vélo et un atelier partagé vous y attendent ainsi qu’une programmation familiale et engagée ».

[3] Suite à l’occupation de l’association Aurore, l’ancienne caserne, propriété de Paris Habitat, se destine à accueillir des logements sociaux, un centre d’hébergement d’urgence, une pension de famille ainsi qu’une crèche.