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Universités populaires de parents : "changer le regard et les modes d’intervention envers les familles"

Parents experts - Albertville
portrait des trois parents interviewés

Les Universités Populaires de Parents sont des groupes de parents, issus notamment des quartiers populaires, qui mènent des recherches sur la parentalité avec l’aide d’un animateur et le soutien méthodologique d’un universitaire. Ils mettent alors leur travail en débat avec d’autres acteurs : professionnels, institutions, politiques, pour croiser les points de vue, construire du dialogue et faire évoluer les pratiques dans l’intérêt des enfants et de leurs parents. En reconnaissant le rôle d’expert que peuvent avoir les parents sur leur vécu, cette expérience contribue à modifier le regard des parents sur les institutions, et des institutions sur les parents. Rencontre avec José Aguilar, Béatrice Renaud et Patrice Lyon, membres de l’UPP d’Albertville qui ont accepté de répondre à quelques questions. Un entretien enlevé et plein de bonne humeur, à l’image de ses protagonistes!

Que trouve-t-on à l’origine de cette association ?

 

C’est d’abord une histoire avec l’aide sociale à l’enfance. Nous avons été ou sommes toujours concernés par une mesure de protection de l’enfance pour nos enfants. Dès le départ chacun de nous s’est senti dévalorisé, jugé comme mauvais parent, pas seulement par le juge pour enfants mais surtout par les éducateurs ! Et il faut pouvoir oser le dire dès le début pour éviter que cette attitude s’installe, sauf que souvent c’est compliqué pour nous qui vivons des moments très difficiles.
En fait nous avons commencé à participer à des groupes de paroles des parents, des ateliers proposés par l’association Le Gai Logis qui accueillait nos enfants placés ou exerçait des mesures d’aide sociale à l’enfance. Sans doute que notre implication a donné des idées aux professionnels car Mr Panchot qui animait les groupes a proposé, en lien avec le directeur de l’association, de créer une université populaire de parents avec trois parents volontaires. On peut dire que tout a commencé à ce moment-là, en 2012.

De quoi s’agit-il précisément, que faites-vous exactement ?
Depuis le début nous nous réunissons toutes les semaines, parents concernés par une mesure d’aide sociale à l’enfance exercée par Le Gai Logis et volontaires, pour échanger entre nous. Rapidement nos discussions ont porté sur la façon dont nous vivions nos relations avec les professionnels, le sentiment très fort de ne pas être respectés, entendus, écoutés, considérés comme les parents que nous sommes.
Accompagnés par Mr Panchot et un enseignant chercheur nous avons débuté une recherche action dont la question a été très rapidement définie compte tenu de ce que nous vivions : dans l’intérêt des enfants, les professionnels reconnaissent-ils suffisamment les savoirs des parents ?
Nous avons mené notre recherche à travers des entretiens avec une dizaine de familles concernées comme nous, un questionnaire à choix multiples adressé à une centaine de personnes (citoyens, travailleurs sociaux, étudiants en travail social) et des analyses documentaires.

Quels sont les résultats de cette recherche ?
Nous avons pu vérifier quelques-unes de nos hypothèses de départ : les parents accompagnés en protection de l’enfance sont écartés de la possibilité de bénéficier de nombreuses ressources tant matérielles, que relationnelles etc. Ils ont des savoirs et des compétences qui sont différemment reconnus selon les professionnels. Les citoyens ont des représentations très approximatives de la protection de l’enfance et des familles concernées qui sont alimentées par un traitement sensationnel de ce sujet par les médias et la transmission d’information par le bouche à oreille. Les cursus de formation en travail social ne permettent pas aux futurs professionnels d’interroger les représentations de sens commun portés sur les parents de protection de l’enfance et les professionnels se distinguent en deux catégories quand il s’agit de reconnaitre les savoirs des parents et de travailler avec eux sur le registre de la coéducation.

Ce sont effectivement des informations cruciales, comment valorisez-vous et faites-vous connaître ce travail ?
Nous participons à des colloques, des séminaires, intervenons dans des assemblées générales d’associations en protection de l’enfance, des instituts de formation et sommes surpris et ravis de l’intérêt suscité par notre démarche !

Au-delà de ce travail de diffusion et de vulgarisation pensez-vous avoir réussi à faire évoluer les pratiques ?
Il faut reconnaître que nous n’avons pas observé de grands changements dans les pratiques professionnelles, et si nous sommes écoutés dans des instances nationales nous constatons que ce n’est pas évident de l’être localement. Est-ce parce que les professionnels nous connaissent, nous et nos enfants, nos histoires ? Nous ne le savons pas mais sommes conscients que les mentalités ne changeront pas rapidement et que notre action sera de longue haleine.

Comment voyez-vous l’avenir de cette action ?
Nous devons préciser que ce travail a bouleversé nos vies, nous avons repris confiance et emprunté des chemins différents, vers la formation, le travail… Nous sommes reconnus comme des parents en capacité de s’occuper de leurs enfants mais aussi d’accompagner d’autres parents. Nous sommes fiers d’être écoutés, d’intervenir devant des professionnels. Cependant nous savons que le chemin sera long pour réellement voir évoluer les modes d’accompagnement des familles en besoin d’aide éducative. Nos enfants ont grandi, sont sortis de l’aide sociale à l’enfance mais nous avons toujours à cœur de continuer à partager ce travail, accompagner d’autres parents et les institutions volontaires, aider à monter des expériences similaires. Car nous sommes persuadés que nous pouvons ensemble changer le regard et les modes d’intervention avec les familles qui traversent des difficultés dans l’éducation de leurs enfants.

Propos recueillis par Marie-Agnes Feret