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Nedjma Ben Mokhtar, l'étoile d'Etouvie

Directrice de l'association Initi'elles et conseillère municipale - Amiens
Portrait

Directrice de l'association Initi'elles et conseillère municipale d'Amiens, Nedjma Ben Mokhtar est un acteur incontournable d'Etouvie, le quartier ZUS qui l'a vue grandir et auquel elle consacre toute son énergie. Objectif ? La création de liens. Portrait d'une femme de terrain.

« Un portrait de moi ? Et pourquoi pas plutôt de ma sœur ? ». La réponse de Nedjma Ben Mokhtar, directrice de l’association Initi’elles à notre sollicitation montre au moins deux choses : d’abord son admiration pour sa grande sœur Samia, fondatrice et présidente de l’association. Ensuite, une forte humilité, un certain embarras à se mettre en avant.

Nedjma est pourtant une figure d'Etouvie, un quartier du nord ouest d'Amiens (80) dans lequel elle a grandi et dont elle continue à arpenter les allées en professionnelle du lien social. Créée en 1992, Initi'elles propose des activités dans les champs de l'animation socioculturelle et de l'insertion sociale en direction d'un public féminin et des enfants du quartier. « Á l'époque, il n'y avait rien pour les femmes qui exprimaient pourtant des besoins. Alors on s'est lancé, un peu sur le tas, avec des cours d'alphabétisation. » Nedjma (étoile en arabe), qui se serait bien vue prof d'anglais et interprète, préfère néanmoins l'animation à la fac. Elle intègre Initi'elles en 1994 avec un contrat emploi-ville où elle structure les activités d'alphabétisation et d'aide aux devoirs. « On n'avait aucun moyen, aucune formation, aucun financement, mais on faisait quand même. On connaissait les maris qui nous faisaient confiance. Du coup, les épouses avaient plus de facilité pour s’inscrire chez nous que dans un centre habilité. Et c'est tant mieux car les activités sont toujours un prétexte pour sortir de chez soi, un bon moyen de combattre l'isolement.»

Bafa en poche, puis BEATEP, option médiation du livre «pour lutter contre l'illettrisme en donnant envie de lire» et enfin Defa et formation en management, Nedjma est aujourd'hui directrice d'une association devenue un repère, un point fixe dans le quartier d'Etouvie et dont le programme d'activité n'a cessé de s'étendre. Un job mal payé, mais dont la rémunération symbolique est importante: «Institutions et habitants reconnaissent le sérieux de notre travail depuis 18 ans et puis... développer des projets, créer du lien, rencontrer les acteurs, les habitants et voir les choses évoluer, je ne connais rien de plus intéressant.» Nedjma voit dans l'exemple de ses parents le ferment de son engagement pour les autres dans le quartier. Marocains berbères d’Algérie, ils s'installent à Etouvie lorsqu'elle a deux ans. Ils sont lettrés. Sa mère est enseignante, son père était infirmier, puis préparateur en pharmacie... «Ouvert, sociable, c'était un grand Monsieur. Quand on est arrivé, on était les seuls maghrébins, mais mes parents fréquentaient des très pauvres et des très riches, des toubibs, des commissaires, des ouvriers. Mon père était une personne ressource pour tout le monde. Nous, on n'avait pas de regard sur l’origine des gens.»

Nedjma et Etouvie, c'est donc une grande histoire d'amour. Elle y a passé toute son enfance et ne l'a quitté qu'une fois, en 1996, pour vivre ailleurs. Mais l'expérience n'a pas duré et elle est revenue: « j'ai manqué de lien, et de sécurité » se souvient-elle. L'histoire continue encore aujourd’hui, mais elle voit son quartier changer. « Nous sommes en pleine mutation, avec de nouveaux habitants et je remarque que les gens ne se parlent plus aussi facilement et naturellement qu'avant. » C'est pour ça que les actions de terrain d'Initi'elles sont plus que jamais indispensables. C'est aussi pour ça que Nedjma s'est engagée en politique lors des dernières élections, afin de faire évoluer les choses. Aujourd’hui conseillère municipale d'opposition, elle apprécie la magnanimité de l'équipe en place qui ne remet pas en cause les financements: « L'élue, c'est l'élue, Initi'elles c'est un autre dossier. Chacun sait faire la part des choses, et c'est très bien comme ça, » conclut-elle.

Sébastien Poulet-Goffard