Aller au contenu principal

Mineurs non accompagnés : une éducatrice témoigne

Educatrice à l'Aide sociale à l'enfance
Portrait

Il faut arrêter de considérer ces jeunes comme un problème. Au contraire, c’est une vraie chance de les rencontrer et nous devons nous donner les moyens de les accueillir". L’intervention de Rozenn Le Berre, aux dernières Assises de la Protection de l’Enfance, début juillet, n’a pas laissé le public de l’atelier consacré aux Mineurs non accompagnés indifférent. Pendant un an et demi, cette éducatrice de 28 ans a auditionné des centaines de jeunes migrants, au sein d’un service d’accueil, pour le compte d’un Département. Une expérience indélébile, dont elle a tiré un livre, publié en Janvier dernier aux éditions La Découverte : «De rêves et de papiers. 547 jours avec les mineurs isolés étrangers».

Apriles : Pourquoi avoir voulu raconter votre expérience auprès des mineurs isolés ?
Rozenn Le Berre :
Pendant 18 mois, j’ai reçu des centaines de jeunes âgés principalement de 15 à 18 ans, venus d’Afrique, d’Afghanistan… C’était lourd de responsabilités, dur. Nos journées jouaient les ascenseurs émotionnels, entre la violence des échecs et la beauté des victoires, les plus modestes soient elles, comme un premier sourire, comme la fierté d’une première journée d’école. Aussi, quand j’ai décidé de quitter ce travail, j’ai eu peur d’oublier ces rencontres. Il fallait que je fasse connaître à hauteur humaine ceux que l’on définissait alors par « mineurs isolés », partager ce qu’ils m’ont tant appris professionnellement et humainement. Pour résister à un voyage comme celui qu’ils font, il faut être très fort: ils ont une capacité de résilience, une rage de vivre impressionnante. A peine arrivés, ils veulent aller à l’école, apprendre le français. Et lorsqu’ils se voient refuser le statut de mineurs isolés, ils ne baissent pas les bras, gardent espoir. Je les ai rarement vu manifester de la colère, alors qu’il aurait été tout à fait légitime qu’ils le soient, mais plutôt une sorte de fatalité devant l’injustice.

Pourtant, même s’ils ont dû faire face à des situations d’adultes et ont grandi trop vite, Il ne faut pas oublier qu’ils restent des enfants. D’ailleurs, dès qu’ils sont placés en foyer, ils retrouvent des comportements de leur âge : s’ils redeviennent des ados pénibles, c’est qu’ils vont mieux ! Aussi, alors qu’il ne devrait être question que de protection de l’enfance, sans distinction de nationalités, je voulais également donner à voir avec le livre la manière dont l’institution « mésaccueille » ces jeunes.



Apriles : Lorsque vous évoquez votre mission, vous parlez de schizophrénie. Pourquoi ?
RLB : Ma mission était de les accueillir, après qu’ils aient été orientés vers notre service par la police, les associations ou parfois même directement par les passeurs, et de les mettre à l’abri dans un hôtel, un foyer…, d’assurer leurs besoins de base, comme trouver des vêtements, prendre un rendez-vous chez le médecin… Il faut imaginer que lorsqu’ils arrivent, après parfois deux ou trois ans sur les routes de l’exil, la majorité est dans un dénuement et une fragilité totale : plus d’économie car ils se sont fait dépouillés et ont dû payer les passeurs ; aucun réseau, familial ou amical. Parfois je retrouvais en fin de journée des jeunes que j’avais reçus assis sur le trottoir en face de mon bureau car ils ne savaient réellement pas où aller; certains ne parlent pas notre langue et ne maitrisent pas nos codes culturels. Par exemple, un jeune s’est retrouvé en transit Porte Maillot pendant plusieurs heures. Pour déjeuner, il a préféré choisir un petit restaurant de quartier au MacDo, qui chez lui est un lieu réservé aux catégories sociales plus élevées. Il y a laissé ses dernières économies…

Mais une autre partie de mon travail était également de participer à l’évaluation de ces jeunes, qui vise à transmettre des informations au Département pour qu’il leur reconnaisse le statut de mineurs isolés. Cela sous entendait qu’à l’issue des procédures certains jeunes restaient sur le carreau, ce que j’estime personnellement contraire à l’éthique et à la déontologie du travail social. D’autant que pendant la période d’évaluation, parfois si longue qu’entretemps certains deviennent majeurs, il n’est pas toujours possible de leur trouver des places pour les accueillir. Je n’avais d’autre recours que de les laisser à la rue, après leur avoir expliqué les bases de la survie : resto du cœur, tente…, alors que leur première demande est de trouver un toit ! La tentation peut-être grande de sortir de la légalité… Ou d’y perdre son humanité ?

Apriles : Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’accueil des mineurs non accompagné ?
RLB : En 2016, 8000 mineurs non accompagnés ont été pris en charge sur tout le territoire. Pourtant les Départements ont un sentiment d’envahissement et sont débordés. Les dispositifs sont saturés car ils n’ont pas su s’adapter et manquent de moyens. Le métier de travailleur social reste à mes yeux magnifique mais difficile à exercer aujourd’hui sereinement, avec un cadre et des moyens qui ne sont pas à la hauteur. C’est insupportable de répondre à un ado en très grande fragilité qu’on a aucune solution. C’est révoltant de faire remonter ces informations aux décideurs sans que rien ne bouge. Car les blocages sont aussi politiques : certains départements considèrent ces jeunes arrivants d’abord comme des étrangers et non comme des enfants. Ce qui reste pour moi la priorité des priorités, que j’ai voulu rappeler dans le livre et aux Assises de la Protection de l’Enfance, c’est avant tout de protéger leurs droits d’enfants.

Propos recueillis par Estelle CAMUS