Lise-Marie Schaffhauser Présidente de l’Unapp «Le parrainage, un avenir à construire ensemble».
L’Union Nationale d’Associations de Parrainage de Proximité (Unapp) rassemble 35 associations qui comptent plus de 4 500 personnes engagées : parents, parrains, filleuls et 350 bénévoles associatifs. Le réseau organisait le 30 janvier au Palais du Luxembourg un colloque autour des enjeux de cette forme de solidarité intergénérationnelle. L’occasion pour Apriles de faire le point, avec sa présidente, Lise-Marie Schaffhauser. Juriste, cadre de l’administration territoriale, mais aussi ancienne élue municipale et militante associative, elle évoque ici la contribution du parrainage de proximité au bien-être de l’enfant, de ses parents, et ses bénéfices pour toute la société.
Apriles : Le parrainage de proximité, une idée nouvelle ?
Lise-Marie Schaffhauser : C’est le prolongement récent d’une idée ancienne. Le parrainage est profondément ancré en France. Très répandu et valorisé, il est traditionnellement constitué d’un lien personnel entre un « filleul » et son parrain/marraine qui partagent un peu de leur histoire de vie. Dans le registre religieux, il s’agit d’un accompagnement spirituel, le parrain étant alors « figure d’autorité ». Globalement, le parrain contribue à l’éducation de son filleul, à son projet de vie et à son insertion sociale au sens large, dans une sorte d’alliance avec l’éducation familiale. L’inscription du parrainage dans les années 70 dans les politiques de protection de l’enfance sur le registre de la substitution parentale a malheureusement figé les choses: le parrainage se confond dès lors avec le placement familial ou l’accueil à domicile. Construit dans les années 2000, le parrainage de proximité s’inscrit lui dans une logique différente: il ne s’agit plus de substituer un parrain à un parent absent, donc défaillant, mais plutôt d’entrer dans une démarche de soutien à la parentalité. La charte du parrainage d’enfants, édictée en 2005 à partir de nos travaux, va donc mettre l’accent sur la relation entre des personnes de générations différentes, qui va avoir des vertus d’ouverture sur l’autre, sur le monde. L’important, c’est la force de ce lien, qui est une inscription dans des réseaux de sociabilité et une promesse d’avenir. Mis en œuvre par des associations ou des services, le parrainage de proximité est un outil important en faveur du vivre-ensemble.
Apriles : C'est-à-dire ?
L-M. S : Il n’y a pas de vivre-ensemble sans solidarité. Or, le parrainage est bien une forme de solidarité inter-générationnelle permettant de tisser des liens affectifs et sociaux. Cette solidarité instituée s’inscrit dans un cadre national reconnu qui est celui de la Charte de 2005 : il requiert par conséquent un engagement. Celui-ci prend la forme d’une adhésion à un projet associatif qui est par essence politique, et dont la mise en œuvre est collective. Il y a dès lors participation à la vie de la cité, sur le registre du lien, ce qui nous situe au cœur des problématiques de vivre-ensemble et de cohésion sociale. Cela se traduit concrètement par notre politique de recrutement : nous ne recherchons pas des parrains et des marraines, mais plutôt des personnes désireuses de s’engager bénévolement dans notre projet associatif, quelle que soit la nature des aides qu’ils peuvent apporter. L’essentiel est que les candidats répondent à une sorte de « tronc commun » qui assure le respect de la dignité des personnes, quelle que soit par ailleurs leur situation personnelle et sociale. « L’inscription dans un réseau et dans l’histoire tant familiale qu’humaine est une des caractéristiques de l’homme et de sa capacité à vivre-ensemble », disait Hannah Arendt. C’est le projet auquel nous travaillons dans les associations de parrainage.
Apriles : Un projet soutenu par les autorités puisque la charte de 2005, signée par le garde des sceaux et le ministre de la famille de l’époque, est une forme de reconnaissance de la contribution du parrainage de proximité à la citoyenneté.
L-M. S : En quelque sorte, mais les choses n’avancent pas aussi vite que nous le voudrions. On continue de se heurter aux logiques pyramidales qui prévalent dans le fonctionnement administratif français. Le bénévolat, qui est un des fondements de notre projet, demeure une variable d’ajustement aux déficiences des politiques publiques. Il y a chez nous un manque patent de reconnaissance de la part des institutions - au nombre desquelles figurent aussi les associations - qui entretiennent une représentation binaire de la société. Il est entendu qu’on est soit professionnel, soit bénévole ; on est rarement regardé globalement, c’est-à-dire réunissant en chacune de nos personnes ces deux types d’expériences qui se conjuguent et qui ont ce que j’appelle des « effets transformateurs ». La richesse de la « société civile » composée des professionnels et des bénévoles, est trop rarement prise en compte, au sein même de nos organisations. Des positionnements différents peuvent créer du malentendu entre personnes de statuts différents. Travailler de sa place, en partageant les responsabilités avec un référentiel commun – le projet politique – qui emporte l'adhésion de tous n’est pas évident. Il nous semble qu’il faut repenser en France le rapport entre citoyens bénévoles et professionnels mais aussi mieux valoriser les engagements associatifs qui constituent les lignes de force entre individus et société. C’est une condition nécessaire à la libération des logiques de transformation sociale.
Apriles : L’enjeu du colloque du 30 janvier prochain au Palais du Luxembourg ?
L-M. S : Oui, entre autres. L’évènement est d’ailleurs organisé en partenariat avec France Bénévolat. Intitulé « Le Parrainage, à la croisée des chemins », il s’agit aussi de faire la promotion de notre démarche et de faire comprendre la richesse et l’intérêt de s’engager dans cette éthique rigoureuse de l’action, avec une responsabilité sociale partagée, gage de cohésion pour la société. Ce sera également l’occasion de faire connaître l’innovation sociale que peuvent porter aujourd’hui les projets de parrainage de proximité dans leur diversité. Les échanges porteront notamment sur la mise en œuvre concrète de cette forme de solidarité à partir d’apports scientifiques et des expériences vécues en France, mais aussi en Europe. Une attention particulière sera également portée aux conditions de réussite des projets. Nous espérons que vous viendrez nombreux.
Propos recueillis par Sébastien Poulet-Goffard