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Laurent Ott : La pro-vocation du social

Educateur, enseignant, philosophe social, chercheur en travail social - Association Intermèdes Robinson (Longjumeau - 91)
Portrait

Entré dans la carrière comme auxiliaire de vie, il a depuis multiplié les diplômes et les activités au point de devenir une référence française de la pédagogie sociale. Un chemin vers le haut, mais en arabesque, où le penser et l’agir n’ont cessé de se nourrir l’un l’autre. Du soin en maison de retraite aux camps Rom de Corbeil-Essonne (91), retour sur le parcours de ce professionnel-formateur-auteur-chercheur-militant.

Les épaules larges, le cheveu blond et le regard clair, Laurent Ott pénètre dans les locaux d’Apriles à pas feutrés et se présente d’une voix douce, empreinte d’humilité. Gêné par un vilain rhume, c’est à peine s’il ose solliciter un mouchoir le temps de l’entretien. Ou peut-être, en fait, n’y songe-t-il même pas. Car lancé dans le récit de son parcours et de ses – nombreuses – activités, c’est un nouvel homme qui apparaît, convaincu et déterminé… Une énergie qui tranche avec l’apparente timidité du début.
Car Laurent est un combattant. Celui qui a commencé sa carrière comme auxiliaire de vie, puis éducateur spécialisé, avant de devenir instituteur et directeur d’école est aujourd’hui formateur à l’Ecole de formation psycho-pédagogique (EFPP-Paris) et chercheur en travail social lié au Groupement de recherche d’Ile de France (GRIF). Depuis 2002, il est également docteur en philosophie (Université de Strasbourg II). Mais il est surtout militant associatif, en tant que président fondateur d’Intermèdes-Robinson qui propose des actions innovantes de soutien de la fonction éducative et de co-éducation du côté de Longjumeau (91).
Une vie dans le social, qui relève de l’évidence… « Je ne suis pas du tout dans le sacrifice, ni dans la mission. Avant toute notion de carrière, travailler pour et auprès d’autrui, c’est juste une façon d’exister et de m’exprimer. Il y a une dimension créatrice extraordinaire dans les professions dédiées à la valorisation des richesses et du potentiel des gens ». Pas de vocation donc, chez Laurent, mais plutôt quelque chose qui relève de la pro-vocation. « Face à l’inacceptable, aux inégalités, aux violences ordinaires, mais aussi à l’immobilité des institutions, il s’agit vraiment de bousculer l’ordre des choses et se mettre en marche pour changer ».
Pour le formateur, le changement passe par un chemin qui oscille entre l’agir et le penser. « A 18 ans, le métier d’Auxiliaire de vie me fait découvrir le soin, qui constitue le lien le plus fondamental dans le rapport à autrui… Je comprends alors l’extraordinaire vecteur de changement que constitue les relations humaines et j’ai envie de qualifier cette pratique. Pour devenir autonome, pleinement acteur de mes actes, j’ai cherché un cadre conceptuel et construit mes propres outils, afin d’en avoir une maîtrise pleine et entière ». Une démarche de va-et-vient permanents entre théories et pratiques qui ne le quittera plus jusqu’à ce jour.
Fort de ce parcours qui l’a vu gravir un à un les échelons professionnels et universitaires, Laurent Ott est aujourd’hui, sans conteste, un briscard du social. Pour autant, il n’a pas perdu son œil d’enfant. « Je suis toujours étonné par l’efficacité redoutable en terme de transformation de la vie sociale de la démarche d’aller vers, et de se rendre complètement disponible à l’autre ». Un élan à la simplicité confondante qui jette les bases de la pédagogie sociale. Une pratique qui, à la lisière de l’action et de la théorie, vise à expérimenter de nouvelles façons de vivre, de travailler et d’éduquer ensemble, avec tous les âges et à partir de toutes les cultures.
Le pédagogue, qui a beaucoup écrit sur le sujet*, en est un des plus fervents défenseurs français. Sur le terrain, en tant que président d’Intermèdes-Robinson, il est également un infatigable praticien. L’association créée en 2005 réinvestie en effet les espaces publics interstitiels entre bâtiments et friches, délaissés par la ville de Longjumeau, pour mener des activités de convivialités sociales et éducatives. Des actions qui s’inscrivent dans la continuité de ce que développait l’association Intermèdes entre 1997 et 2004 autour d’un travail de rue contre la solitude enfantine et parentale.
« Nous proposons des activités qui permettent à tous, dans le mélange des âges et des cultures de réinvestir et d’habiter des espaces inoccupés. Du jardinage collectif, aux ateliers éducatifs de rue (voir fiche Apriles), en passant par la cuisine communautaire ou l’organisation de soirées conviviales, la diversité de nos actions repose sur l’application de principes participatifs et coopératifs comme l’inconditionnalité de l’accueil, la recherche de l’autonomie et la production d’outils adaptés : tenues de conseils ou d’assemblées, élaboration de journaux, rédaction de correspondances, réalisation de clips et organisation de travail communautaire».
Un activisme en faveur du lien social qui dépasse le périmètre longjumellois puisque des activités sont menées dans un camp Rom de Corbeil-Essonnes où, au-delà des actions classiques de l’association, les bénévoles, qu’on appelle communément les Robinson, aident à la scolarisation des enfants. Une démarche saluée par l’agence du service civique puisqu’une jeune issue du camp et intégrée comme volontaire à l’association a été distinguée et admise à l’Institut du Service Civique
Malgré cette reconnaissance, maintenir les actions dans la régularité et la constance est un combat du quotidien. « Avec trois permanents, 12 bénévoles et quelques stagiaires, nos moyens sont faibles et absolument pas pérennisés». Cucs, Caf, Conseil général et Reaap financent à la marge, mais la municipalité de Longjumeau semble ignorer l’action de l’association. « Depuis trois ans, c’est le mur du silence avec la ville. On met en lumière des situations de pauvreté et d’isolement qui sont gênantes pour l’image de la cité», juge le formateur. Peut-être également - mais c’est nous qui le disons - que le chercheur n’arrive pas à se soumettre aux jeux d’acteurs qui facilitent la reconnaissance politique. « C’est vrai que nous sommes radicaux, mais c’est aussi grâce à cela que nous tenons », estime Laurent Ott avant de sortir, et d’affronter l’orage, sans parapluie…


Sébastien Poulet-Goffard

Notes :

*Ouvrages :
-« Travailler avec les familles - Parents/Professionnels: un nouveau partage de la relation éducative ».
Laurent Ott, Editions Eres, 2004.

-« Rendre l’école aux enfants »
Laurent Ott, éditions Fabert; septembre 2009.