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Karim Oumnia : « L’envie de réussir existe en banlieue. Nous lui tendons la main »

Directeur - Glaglashoes et Baliston
Portrait

Venu d’Algérie dans les années 1990 pour intégrer l’Ecole supérieure des mines de Nancy, Karim Oumnia devient, à l'issue d'un parcours sans faute le fondateur de deux sociétés : Glaglashoes pour les chaussures ultra-légères et Baliston pour l’équipement sportif. Des produits destinés à une jeunesse qui n’est pas, pour l’entrepreneur, qu’une simple cible marketing. Explications...

Apriles: Tee-shirt, maillots, ballons, survêtements, chaussures… Baliston développe une gamme de produits en direction des jeunes... Qu’est ce qui distingue votre entreprise d’autres grandes marques?
Karim Oumnia: Au-delà de la qualité de nos produits et de l’approche marketing en direction des jeunes qui constituent notre cible naturelle, nous avons, je pense, une conscience accrue de notre responsabilité sur le plan sociétal. Les jeunes sont nos clients, mais c’est avant tout un public souvent en difficulté, et qui a été particulièrement malmené ces derniers temps. En France, nous avons appréhendé notre jeunesse, et particulièrement celle des quartiers, sous l’angle exclusif des problèmes... Pendant la campagne présidentielle, la stigmatisation a atteint des sommets avec des messages politiques indignes de la République. C’est une croix que portent ces mômes qui essaient d’avancer mais rament, du coup, à contre-courant.

Apriles : Vous êtes arrivés en France afin d’y suivre des études prestigieuses... D’où vous vient ce regard empathique sur une jeunesse dont l’histoire est finalement très différente de la vôtre.
K.O. :
Je suis devenu Français, mais d’origine nord africaine, comme ces gamins à qui je ressemblais il y a une vingtaine d’années. En Algérie, où j’ai grandit, la jeunesse vit dans un grand dénuement, mais elle est inondée de soleil... Elle est dynamique et pétrie de rêves, d’ambitions. Il y a toujours dans les esprits un eldorado, un ailleurs gorgé d’espoir qui leur permet de tenir et d’avancer. En France, cet exil pour un avenir meilleur fut celui des parents... Les jeunes vivent dans des conditions matérielles enviables pour le reste du monde, mais il y a dans les têtes un déficit d’espoir et de perspective, creusé par un contexte économique difficile et des élites politiques qui apparaissent très éloignées, quand elles ne sont pas carrément hostiles... Alors oui, du fait de mon nom, de mes origines, je me suis sans doute assigné le devoir de mieux faire... Et oui, je me sens un peu dans une posture d’exemplarité : c’est la France qui m’a appris à travailler. J’essaye de le lui rendre. Ce n’est pas une revanche, c’est ma fierté. J’essaie de montrer à mon pays qu’il a bien fait de m’accueillir. Et aux jeunes Français qui me ressemblent, je veux leur dire: «Hey les gars, arrêtez de pleurer... Et bougez-vous, tout est encore possible ici!!! »

Apriles : Considérant la situation difficile de cette jeunesse, que peut aujourd’hui faire un décideur économique?
K.O. :
Il y a évidemment plus de choses à faire lorsqu’on travaille dans le sport, que dans les aspirateurs. C’est ce que je reproche au milieu... A mes concurrents, mais aussi au monde professionnel qui, dans le foot par exemple, se contente d’engranger des sommes pharaoniques sans un regard pour les difficultés des gamins qui se saignent pour acheter une paire de basket ou assister à un match. Que dire de l'attitude hautaine des joueurs professionnels, multimillionnaires à 25 ans, qui se contentent de monter dans leur Porsche à l’issue des matchs sans prendre le temps de signer un autographe? Ces garçons travaillent 4 heures par jour et s’ennuient le reste du temps. Ce sont des stars qui jouissent d’un incroyable prestige dans les quartiers. Pourquoi ne pas leur faire signer une close dans les contrats afin qu’ils fassent un peu de bénévolat hebdomadaire auprès des petits clubs amateurs, comme cela se fait aux USA? Leur demander de donner un peu de ce qu’ils ont reçu, en jouant la proximité avec les jeunes, ça aurait un impact extraordinaire. La Ligue de Football Professionnelle (LFP) ne semble pas enthousiaste. Moi, je constate simplement qu’il n’y a aucun problème pour mobiliser les équipes autour de séances de dédicaces organisées par les sponsors et facturées très très cher...

A: Et vous alors, que faites-vous?
K.O. :
Chez Baliston, on a d’abord une politique en matière de ressources humaines. Beaucoup de nos commerciaux viennent des quartiers. Ils n’ont pas de bagage scolaire, se sont formés à l’école de la vie. Ils n’ont que la passion du sport et la grinta (l’appétit NdlR). L’envie de réussir existe en banlieue et nous lui tendons la main. Nous faisons également un travail de médiation entre grands sponsors et petites équipes dans le cadre de notre programme Club Elite. Je me suis rapproché de plusieurs centaines de clubs locaux en leur proposant de l’équipement gratuit, mais sponsorisé. J’ai ensuite été voir de grandes marques en leur proposant de broder leur logo sur les 80 000 maillots des 500 clubs. Ça commence à être sérieux en termes de visibilité. Je demande ensuite aux clubs de signer la charte du programme qui les incite à aller au-delà de l’activité de championnat pour faire de l’animation dans les quartiers autour des valeurs républicaines, comme la lutte contre le racisme, les discriminations, la violence, mais aussi l’accueil de la différence, tel le handicap ou l’homosexualité. Les sponsors se sont montré un peu réticents dernièrement du fait de la crise, mais nous comptons sur la prochaine embellie pour relancer le programme !!!


Propos recueillis par Sébastien Poulet-Goffard