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Julie Bretaud : "Rétablir le droit à l'image des plus vieux d'entre nous"

Sociologue et photographe
Femme agées soufflant des bulles de savon

Sociologue et photographe, Julie Bretaud s'attache avec son art à revaloriser l'image des plus âgés d'entre nous. Auprès des maisons de retraite, CCAS, associations, elle travaille à réaliser des portraits mettant en scène la beauté du grand age et son éternelle jeunesse. Rencontre.
 

Apriles : Vous êtes à 25 ans une photographe qui s'intéresse à l'image des plus vieux de notre société, comment arrive-t-on à cet engagement ?
Julie Bretaud : Á l'origine, je me destinais à travailler dans le milieu carcéral. Parallèlement à mes études de sociologie qui portaient sur les liens familiaux dans les lieux de détention, je me suis engagée dans différentes associations intervenant dans les prisons et auprès des publics concernés. J'avais 18 ans la première fois que je suis rentrée dans une maison d'arrêt. J'ai commencé par participer à l'animation d'une activité musique chez les hommes, puis un atelier cuisine chez les femmes qui bien vite, pour des raisons de sécurité s'est transformé en activité "culture du monde". Le but était de recréer des liens. J'ai ensuite fait partie d'une association qui accueille les familles et les visiteurs avant leur première visite. Autour d'un café, on les aidait à appréhender ce moment en les écoutant et leur expliquant comment cela allait se passer. J'ai également travaillé bénévolement pour un relais enfant parents incarcérés ou on accompagne l'enfant voir son parent (la plupart du temps son père), en prison.

A. : Vous avez donc eu très tôt une fibre sociale, comment est venu votre intérêt pour les personnes âgées ?
J.B. : Parallèlement à mes études j'exerçais une activité d'auxiliaire de vie où je prenais en charge des personnes âgées chez elles. Tous les matins pendant trois ans, je me suis occupée d'une dame qui souffrait en outre de myopathie. Une véritable relation s'est créée avec ces personnes. Dans le même temps, j'étais bénévole à l'association "Les petits frères des pauvres" pour laquelle j'accompagnais deux personnes de la maison de retraite Saint- Joseph à Nantes. La première fois que j'y suis entrée, j'ai été choquée, j'ai trouvé ça horrible !

A. : Plus choqué que lors de vos premiers pas en prison ?
J.B. : On s'y prépare moins. Quand on rentre dans une prison, on sait à quoi s'attendre. Peut être, parce que d'une certaine manière, on parle plus du milieu carcéral. A l'arrivée à la maison de retraite Saint-Joseph, j'ai vraiment perçu le lieu comme un mouroir. Je voyais les gens attendre seuls et inertes dans leur fauteuil. Très vite pourtant, je me suis rendu compte que le rapport au temps des personnes âgées n'est pas le même. Que le fait d'attendre dans un coin pendant des heures assis immobile dans un fauteuil peut être source de plaisir.

A. : Comment vous est venu l'envie de les photographier?
J.B. : A la même époque je suivais un cours de sociologie de l'image, naturellement je me suis intéressé à l'image des personnes âgées. Et là, j'ai constaté que les personnes que j'accompagnais en tant que bénévole, Augustin et Blanche, (qui sont malheureusement aujourd'hui décédées), n'avaient pas de photo d'elles dans leur chambre. On y voyait des photos de leur famille, des photos d'événements mais d'elles âgées non. J'ai alors commencé à rapporter mon appareil photo et petit à petit je me suis rendue compte qu'ils se prenaient bien au jeu.

A. : En partant de là, vous avez décidé de créer une série de portraits de personnes âgées soufflant des bulles de savon, pourquoi ces bulles ?
J.B. : (sourire) C'est une idée qui a été assez critiquée, notamment certains dénonçaient une infantilisation des personnes âgées. Effectivement, quand on vieillit, d'une certaine manière on retombe en enfance. Du point de vue de l'autonomie, on redevient enfant, la boucle est bouclée. Ça dérange, mais c'est la vérité! J'avais envie de mettre un peu de poésie, un peu de légèreté sur ces questions, une manière aussi de montrer qu'il y a toujours de la jeunesse chez ces personnes. Aujourd'hui, lorsqu'on parle de la vieillesse, c'est toujours sous forme de problème. On est dans une société ou le jeunisme ambiant domine et dans laquelle, il ne faut pas vieillir… surtout pas ! C'est comme si la vieillesse était une maladie. C'est comme si aujourd'hui, passé un certain age vous ne faites plus partie de la société, on vous oublie, on ne vous montre plus. Et quand on montre des personnes âgées, on ne va jamais filmer ou photographier quelqu'un de 75 ans. Moi, les personnes âgées que je photographie ont en moyenne 87 ans.

A. : Vous voulez réhabiliter leur image ?
J.B. : Rétablir leur droit à l'image. Quand je disais aux femmes que j'allais les photographier, elles me riaient au nez en me disant que c'était moi qu'il fallait photographier. Parce que je suis jeune, je suis forcément belle! Je leur répondais que moi aussi j'allais vieillir et qu'alors j'aurai encore envie qu'on me photographie et qu'on me regarde. Mon travail a été très bien accueilli. Certaines m'ont embrassé tellement elles se trouvaient belles et étaient heureuses d'avoir cette image. Je me souviens encore d'avoir discuté avec le fils d'une personne qui souffrait de la maladie d'Alzheimer et qui me disait qu'il craignait qu'elle participe car sa mère était malade. Le résultat l'a surpris. Il disait presque naïvement : "On ne se voit pas sur la photo qu'elle a Alzheimer". Au final, c'est valorisant pour tout le monde, la personne âgée, la famille et le personnel encadrant.

A. : Comment a été accueilli le projet ?
J.B. : Lorsque j'ai envoyé le projet "Ma bulle d'oxygène" à la maison de retraite Saint-Joseph, je n'ai d'abord eu aucune réponse. Ce n'était pas une porte fermée, plutôt une porte blindée! A force d'insistance, j'ai obtenu un rendez-vous et ai réussi à emporter l'adhésion du directeur. Autoriser des photos de personnes âgées en maison de retraite fait peur. Ils ont peur d'une part de la médiatisation avec tous ces reportages qui dénoncent les maltraitances et d'autre part, ils redoutent légitimement de ne pas avoir de prise sur le contenu. De fait, c'est offrir son image sans savoir ce que ça va donner. Le premier travail consiste donc à instaurer la confiance entre le photographe et les sujets. Ainsi, durant deux mois je me suis baladée dans les couloirs de l'établissement sans appareil photo. Tout le monde se demandait qui je pouvais bien être. Je jouais au scrabble avec les résidents et en profitais pour leur expliquer que j'allais venir prendre des photos. Puis je suis venue avec mon matériel de prise de vue.

A. : Quelles étaient leurs réactions pendant la séance de photographie ?
J.B. : Dans un premier temps, l'affolement face à l'idée d'être photographiées et des stratagèmes pour fuir du type "Mon dieu je ne suis pas coiffée"… Passée cette phase qui peut consister à proposer de revenir après le passage de la coiffeuse, il faut organiser la prise de vue et notamment leur faire souffler des bulles de savon. En général c'était la panique avec une interrogation constante qui m'a beaucoup étonnée : est ce que je vais me souvenir de comment on fait ? Du coup, le fait d'être pris en photo passait complètement à la trappe. Ça permettait de les mettre en action pour qu'elles oublient l'objectif. Au final, elles se sont amusées. Elles riaient vraiment. Même pour certaines qui n'avaient plus "toute leur tête", je me rendais compte que ce qui comptait c'était le moment présent, c'est-à-dire qu'à ce moment là, elles s'amusaient. Pour moi dès ce moment là, le projet était réussi.

A. : Ensuite, il y a le moment du vernissage…
J.B. : C'est un événement public qui permet d'ouvrir la maison de retraite sur la ville. Des gens qui ne connaissent pas le lieu viennent voir, des jeunes, des voisins… C'est très valorisant pour l'établissement et ses occupants. Par la suite, l'exposition a voyagé durant un an et demi : dans les écoles, les bars, les conférences… jusque dans une discothèque rock. Voir les photos des personnes âgées dans un lieu très très jeune, c'était pour moi une belle réussite…

A. : Vous avez également réalisé une autre série avec les résidents de Saint-Joseph, l'Age rock ?
J.B. : C'est un projet que j'ai moi-même financé. L'idée c'était de proposer aux personnes âgées de faire une photographie avec une guitare électrique, dans l'idée d'axer sur un élément intergénérationnel. C'est une exposition destinée à un public plus jeune qui a d'ailleurs été montrée dans une maison des jeunes. Etonnement, les prises de vue, ont été plutôt faciles. Je me suis installée dans le salon de la maison de retraite avec les instruments que je m'étais faites prêter par une boutique de musique et rapidement les résidents avaient tous envie de poser. Ces photos qui ont été tirées sur des bâches de 1m sur 60 cm ont attiré élus et officiels de la ville lors du vernissage.

A. : Votre prochain projet ?
J.B. : Je travaille avec le CCAS de Nantes sur la campagne "Quand l'appétit va tout va!". L'action qui s'intègre dans leur politique de lutte contre l'isolement des personnes âgées veut inciter les personnes isolées à venir partager leur repas dans les "Restaurants clubs" qui sont associés aux foyers logement. Dans ce cadre, des Ateliers sont développés pour renouer avec le plaisir et la gourmandise. Pour ma part, j'ai pour mission de "les photographier en flagrant plaisir de gourmandise".


Contact Julie Bretaud : juliebretaud44@gmail.com

Voir le blog de Julie Bretaud : http://julie.bretaud.over-blog.com/

JULIE BRETAUD COMMENTE SES PHOTOS

Homme enfilant sa cravate

"Ce monsieur c'est mon petit chouchou, il s'appelle Marcel. J'affectionne particulièrement cette photo d'autant plus qu'elle va faire partie d'un projet d'édition. L'image a été faite avant la prise de vue alors qu'il allait poser pour la série avec les guitares. Il est en train de se faire beau et passe une cravate exprès pour l'occasion. Marcel est tellement content de se faire photographier. Pour lui c'est vraiment très important. Quand je le photographie, parfois je l'entends murmurer "chouette je vais être dans le journal". Il est tellement heureux et fier d'être pris en photo qu'à peine il voit l'appareil, il pose et il m'est impossible de le prendre au naturel. Dans sa chambre, les photos sont punaisées à côté de ses photos de famille.
En général les personnes âgées me présentent à leur famille en disant "c'est ma petite photographe! Je suis leur photographe attitrée, je fais partie de leur vie. Il y a un lien particulier qui se met en place".

Marie-Louise. Elle était la doyenne de la maison de retraite, elle avait alors 99 ans.

"C'est Marie-Louise. Elle était la doyenne de la maison de retraite, elle avait alors 99 ans. Depuis, elle est décédée. En la voyant, ça a été pour moi une révélation. Je l'ai trouvée superbe. C'est une très belle personne à photographier. Elle est restée très digne.
Marie-Louise était assez partante. Quand je lui ai montré les premiers tirages, elle trouvait regrettable qu'on ne voit pas ses yeux. Elle a de grands yeux, et pour elle c'est l'atout de sa beauté. Sur cette image, certains sont choqués par les dents, elle, ça ne la gène pas qu'on voit son sourire édenté".

Affiche de l'exposition de Julie Bretaud "L'âge Rock"

"J'aime bien cette affiche. Elle est plutôt décalée. On a l'impression d'un groupe de rock. Et puis elle annonce le vernissage de l'exposition à la maison de retraite. La démarche de valorisation de la personne commence dès les premières photos avec la préparation à la prise de vue, la photo elle-même, le partage autour de son image, mais l'aboutissement se réalise pleinement dans le vernissage où les photos tirées en grand format sont partagées avec tous, personnel, résidents, direction et officiels".