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Isabelle Pras : "Le logement intergé répond à l'isolement des personnes âgées en créant du lien"

Coordinatrice de l'offre à la régie Coup de Pouce - Chambéry
Portrait en fil

La solution se développe du nord au sud du territoire français. De plus en plus d'associations proposent à des étudiants de venir partager le logement d'une personne âgée et une part de son quotidien. A Chambéry, la régie Coup de Pouce développe le service "1 toit, 2 générations" depuis 2007. Isabelle Pras coordonne l'offre. Regard avec elle sur la mise en œuvre d'une initiative à fort lien social ajouté.

Apriles : Pourquoi la mise en place du programme "1 toit, 2 générations" à Chambéry ?
Isabelle Pras : A l'origine, un constat posé par une étude municipale sur le "Bien vieillir dans son environnement" menée en 2006 sur le quartier de Biollay classé Zus. Il concentre non seulement les logements sociaux aux loyers les moins élevés de Chambéry mais également de nombreuses personnes âgées habitant seules des appartements spacieux qui accueillaient autrefois leur famille. En 2006, donc, une chargée de mission mandatée par la mairie est allée de porte en porte questionner les personnes âgées. Il en est ressorti qu'elles se sentaient seules car souvent éloignées de leurs enfants et qu'elles avaient en outre moins de contact qu'avant avec leurs voisins. De fait, ces résidents ont vieilli dans le quartier et ont vu la population se renouveler, de nouvelles familles s'implanter. Du coup, les liens avec les "nouvelles générations" ne sont plus les mêmes. La perte des relations de voisinage cumulée notamment au fait que ces immeubles anciens ne disposent pas d'ascenseur contribuaient à isoler ces individus.
 
Apriles : Et comment est venue l'idée de répondre à cette problématique en proposant du logement intergénérationnel ?
Isabelle Pras : Grâce la rencontre avec un chargé de mission en charge de la vie étudiante de l'université de Savoie, qui a exprimé la nécessité de trouver une solution sur Chambéry pour accroître l'offre de logement étudiant. Or celui-ci avait, dans le cadre de son activité, rencontré l'association DIGI, Domicile inter générations isérois, qui propose du logement intergénérationnel sur Grenoble. C'est donc assez naturellement, que l'idée d'1 toit, 2 générations s'est imposée.
 
Apriles : En 2007, avec votre recrutement le projet est lancé…
Isabelle Pras : Effectivement. La première action a consisté a organiser une réunion sur le quartier durant laquelle la salariée de DIGI est venue présenter son travail et le fonctionnement du logement intergénérationnel devant les partenaires impliqués dans la gérontologie, la  jeunesse et le logement. La Régie y a indiqué qu'elle souhaitait développer ce type d'activité sur le quartier et proposé aux partenaires de s'y associer. A la fin de cette première rencontre, un comité de pilotage est lancé qui réunit l'Université de Savoie, le Conseil général, la Ville de Chambéry, l'Agence départementale d'information pour le logement, l'association Club de retraités et l'Association départementale d'action médico-sociale en faveur des personnes âgées (Adamspa). Ce comité va "construire" la démarche et participer à diffuser l'information auprès des publics cibles (jeunes comme personnes âgées).   Il élabore une charte de fonctionnement ainsi qu'une convention d'hébergement pour les locataires. Dès la rentrée 2007 (septembre), nous sommes en mesure d'accueillir les premiers étudiants. Nous commençons avec deux seulement…
  
Apriles : Comment l'expliquez-vous ?
Isabelle Pras : La difficulté à se faire connaître et reconnaître d'une part. Et d'autre part, le fait que le concept est assez récent et innovant et qu'il ne va pas de soi, notamment pour les personnes âgées.
 
Apriles : Il est plus facile de trouver des étudiants intéressés que des personnes âgées ?
Isabelle Pras : Absolument. Les personnes âgées ont du mal à franchir le pas. Ce n'est pas évident d'ouvrir sa porte à quelqu'un qu'on ne connaît pas, surtout quelqu'un de jeune. Nos hébergeurs sont des personnes qui ont envie de rester vivre chez elles mais qui soit ne s'y sentent pas en sécurité, soit supportent mal la solitude. Dans les deux cas, la présence d'un jeune est rassurante et apaisante. Cela nécessite une ouverture d'esprit et une envie de partager de la jeunesse. J'ai en tête ces paroles de l'une d'elles qui témoignent de l'esprit des hébergeurs : "Ça me fait du bien, la maison revit. Je reste dans le bain. De nouveau je sais ce que c'est qu'être jeune aujourd'hui".
 
Apriles : Quel âge ont ces accueillants ?
Isabelle Pras : Cela va actuellement de 62 à 98 ans mais la plus grande majorité se situe entre 80 et 90 ans.
 
Apriles : De l'autre côté, quel est le profil des hébergés ?
Isabelle Pras : Pour la plupart des étudiants qui ont la caractéristique d'être très concentrés sur leurs études et l'envie de bénéficier d'un cadre plus calme qu'en résidence ou en collocation avec d'autres jeunes. Avec ça, une majorité de fille. De toute façon, j'ai beaucoup de mal à placer des garçons car la plupart des hébergeurs sont des femmes... Depuis que nous avons élargi l'offre à Annecy (en 2009 ndlr), étant donnée les filières techniques proposées, j'ai un certain nombre de demandes de jeunes hommes que je ne parviens malheureusement pas à pourvoir.
 
Apriles : C'est aussi des jeunes qui ont moins de moyens ?
Isabelle Pras : Effectivement, on privilégie toujours les plus modestes, mais ce n'est pas notre premier critère de recrutement. Nous veillons d'abord à vérifier que la personne sait à quoi elle s'engage et quelles contraintes cela va lui imposer.
 
Apriles : A quoi s'engage l'étudiant en échange du logement ?
Isabelle Pras : Cela va dépendre de la personne qui le reçoit. Mais d'une façon générale, l'étudiant s'engage à être présent, par exemple le soir pour le repas et la nuit. Ça ne veut pas dire qu'il va se lever la nuit mais il est là pour une présence rassurante. Il a bien évidemment le droit de sortir, le droit de faire des soirées étudiantes, aller au cinéma ou au restaurant mais en sachant qu'il faut qu'il prévienne la personne.
Au niveau des petits services cela est également extrêmement variable. Souvent c'est par exemple fermer les volets, aller chercher le journal, le courrier, ramener du pain quand il pleut, descendre la poubelle. Ça peut être également aider à lire un courrier ou préparer de temps en temps à manger. Souvent c'est encore mettre la table,  la débarrasser, faire la vaisselle… bref des petites choses du quotidien.
 
Apriles : Y-a-t-il des conditions pour les personnes âgées ?
Isabelle Pras : Au-delà de l'état du logement et de sa capacité d'accueil, on veille principalement à ce que les personnes âgées ne soient pas trop dépendantes. On vérifie par rapport à la dépendance existante de la personne que les mesures sont déjà mises en places (services à la personne notamment) et que l'étudiant est un complément au niveau de la présence et non pas là pour satisfaire des besoins de dépendance.
  
Apriles : Concrètement, comment s'effectuent les "recrutements" ?
Isabelle Pras : Concrètement j'ai un premier contact téléphonique avec la personne âgée ou ses enfants. Je vais alors la rencontrer au domicile pour vérifier de visu l'état du logement et identifier les besoins. Une fois établi le type de jeune que cette personne attend, je regarde dans notre base de postulants, en sélectionne un et le rencontre. S'il est intéressé, je propose alors un rendez-vous dans le logement. Le jeune et la personne âgée font connaissance et peuvent décider par la suite de se retrouver indépendamment de moi pour approfondir leur échange. Une fois d'accord, le jeune peut s'installer. Pour ma part, je reviens une semaine ou deux après afin qu'ils signent ensemble une convention d'hébergement  qui intègre une description du logement et les conditions d’utilisation, les services rendus, les obligations de chacun (présence hebdomadaire de l'hébergé) et les modalités de l’engagement (durée, fin, résiliation).
 
Apriles : Comment se passe la cohabitation ?
Isabelle Pras : Dans la plupart des hébergements, sans problème. Pour les situations difficiles, nous avons prévu des médiations entre l'hébergeur et l'hébergé. Par exemple, lorsque l'état de santé de la personne âgée se dégrade, nous envisageons avec la famille et le jeune la solution à mettre en oeuvre. J'ai eu le cas d'une dame dont la santé s'était extrêmement détériorée; tout le monde était d'accord pour dire que l'étudiant devait partir. Dès lors, on négocie le temps de préavis pour arranger au mieux les deux partis.
Récemment encore, j'ai eu un cas où la famille de la personne âgée demandait plus d'activité que convenu. En outre, il y avait un problème de confiance entre la famille et le jeune. Mais j'insiste, cela se produit véritablement à la marge. La majorité des cas, cela se passe très bien !
 
Apriles : De fait, comme vous le soulignez la coexistence se fait aussi avec la famille de la personne âgée ?
Isabelle Pras : C'est important en effet de le souligner. La plupart du temps, c'est la famille qui prend contact avec nous. Les enfants sont souvent très présents autour de leur parent. Ainsi, j'explique aux jeunes qu'ils n'ont pas que la cohabitation avec la personne âgée mais également la relation avec les enfants. Des enfants qui sont parfois très inquiets pour leur parent et qui, du coup, peuvent inconsciemment installer un climat de tension.
 
Apriles : Il semble y avoir un paradoxe entre le fait que les familles soient si présentes et le besoin de compagnie de ces personnes âgées, ce besoin de rompre la solitude ?
Isabelle Pras : Effectivement, il y a la famille, les aides à domicile, bref du passage dans le logement. Mais c'est vraiment la question du soir et de la nuit qui pousse ces personnes à accueillir un jeune. Les familles déjà très sollicitées ne peuvent s'engager à une présence nocturne. Or, c'est là que la solitude est la plus vive et en cela la présence d'un autre est bénéfique.
 
Apriles : Vous indiquiez avoir des hébergeurs âgés de 98 ans ?
Isabelle Pras : Oui… le cas d'un monsieur exceptionnel que j'ai rencontré l'année dernière. Un ancien commerçant qui a travaillé à son compte durant des années, ouvert, qui avait de par son métier l'habitude d'être en contact avec les autres.   A 97 ans, il mangeait tous les midis dans un petit restaurant, allait au marché tous les samedis et se faisait son repas le soir. Il sortait seul. Bref, en tout exceptionnel pour son âge. Il est venu nous voir car il commençait à se sentir fatigué, et il souhaitait un soutien dans ses menues tâches quotidiennes. D'ici la fin du mois, il va accueillir un jeune étudiant en école d'aide soignant à Chambéry.
  
Apriles : A vous entendre, il est difficile de recruter des hébergeurs, quelle solution pour favoriser ce type d'initiatives ?
Isabelle Pras : Il faut informer et sensibiliser par le biais des réseaux partenaires. Il faut aussi mutualiser nos compétences, nos expériences et nos moyens. C'est dans ce but que nous nous avons rejoint le réseau national du Logement intergénérationnel et solidaire (LIS) et crée un regroupement à l'échelle régionale. Nous avons pu ainsi devenir de réels interlocuteurs pour la Région et grâce à l'appel à projet lancé par le Haut Commissariat à la Jeunesse informatiser notre base de données de candidats et développer notre communication.
 
Apriles : Et le résultat est là ?
Isabelle Pras : Les candidature sont effectivement en augmentation. Alors qu'à cette date nous n'avions l'année dernière qu'une douzaine d'hébergements en préparation, aujourd'hui nous en avons déjà 20 sur Chambéry et Annecy. Et c'est le même constat pour les autres associations. On a de plus en plus d'appels et d'offres du côté des personnes âgées mais qui sont encore loin de rattraper la demande des jeunes.

Propos recueillis par Emmanuel Maistre