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Delphine Terlizzi fait tomber les murs et les idées reçues

Fondatrice - Recyclerie La Petite Rockette
Portrait

Qui aurait dit, il y a encore quelques années, qu’une ancienne squatteuse puisse devenir élue locale à Paris ? Delphine Terlizzi est la preuve vivante que le milieu alternatif peut être source de formidables richesses. Dans son parcours atypique, entre histoire de l’art et squats parisiens, elle a puisé les principes qui aujourd’hui l’animent : transversalité et autogestion. A l’image de la Petite Rockette qu’elle a contribué à fonder avec des amis, Delphine Terlizzi œuvre à décloisonner les lieux autant que les idées reçues. Aujourd’hui, au sein de leur ressourcerie, les membres de ce collectif « retapent » non seulement les objets mais aussi les hommes, et œuvrent a faire vivre leur quartier et ses talents. Un modèle du genre, au point que la mairie de Paris souhaite le reproduire dans chacun de ses arrondissements. 

Paris, 11ème arrondissement. Derrière la vitrine, roulant des épaules, un grand chat roux plein d’assurance arpente les locaux de la Petite Rockette. « Lui c’est Pacha, on l’a adopté il y a quelques mois. Je n’étais pas d’accord au départ, mais le collectif a voté pour à la majorité. Alors je change sa litière », explique Delphine Terlizzi en rigolant. Assise sur un pouf fabriqué à partir d’un pneu usagé, cette quadra brune hyperactive semble ne jamais vouloir se départir de son sourire et de sa bonne humeur. Il faut dire que l’histoire de la Petite Rockette, qu’elle a co-fondée, a des parfums de success story.

« Ici tous les salariés ainsi qu’un représentant des bénévoles participent aux décisions selon le principe un homme égale une voix. Alors, même si parfois certains d’entre nous ne sont pas d’accord, on se range à la décision collective et on porte ensemble les projets». Cette éthique de la gouvernance horizontale et du collectif, Delphine Terlizzi la tire de son parcours en squat où elle fait ses premières armes dés 2000. Alors chef décoratrice dans l’audiovisuel, elle installe son atelier à la Miroiterie, le plus ancien squat artistique de Paris, dans le 20ème arrondissement. Là, elle rencontre des femmes et des hommes que la vie n’a pas toujours épargnés. Aussi, lorsqu’elle y fabrique ses décors, il lui semble naturel de faire travailler ceux qui n’ont pas de boulot. « Je prenais toujours celui qui en avait le plus besoin, et je lui apprenais le boulot. Ça me paraissait assez logique d’aller vers le plus défavorisé. A condition qu’il ait envie de se bouger ».

D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Delphine a toujours eu le goût des autres, l’envie d’aider les plus en difficulté. « La fibre sociale, tu l’as ou tu ne l’as pas. Mais le squat m’a encore plus sensibilisée à ça, car c’est un lieu qui attire des personnes fragiles, un peu en marge, qui ont besoin de réconfort. Cependant, je n’aurais pas fait assistante sociale, ça ne m’intéressait pas. Ce qui m’intéresse c’est d’interagir avec le social à travers mon métier ». C’est d’ailleurs ce qu’elle continuera à faire quelques années plus tard, lorsqu’avec un groupe d’amis, elle investit le dernier bâtiment encore debout de la Petite Roquette, ancienne prison pour femmes et enfants sise dans le 11e arrondissement de Paris. « La prison des garnements et des femmes ça nous parlait bien. On a donc appelé notre association La Petite Rockette. C’est le début d’une histoire humaine formidable ».



Au programme : mélanger culturel et social, mixer les publics et faire tomber les aprioris dans un esprit d’ouverture. C’est pourquoi, bien loin de son usage originel, le bâtiment se veut alors ouvert sur son quartier. « De 10h à 22h, chacun pouvait venir se rendre compte de la réalité du squat et faire tomber ses préjugés. Le mercredi après-midi il pouvait y avoir des ateliers pour enfants, deux heures après une chorale, le week-end un concert punk, et le dimanche un brunch pour les personnes âgées. Par ailleurs, fidèles à notre vocation artistique, nous avons mis à disposition des espaces à moindre coût, ateliers et salles de répétition, pour accueillir des artistes. En parallèle, nous logions des sdf : ceux-ci s’occupaient de l’entretien du bâtiment et accueillaient les compagnies de théâtre et les artistes qui venaient dans les ateliers. L’idée c’était d’avoir un logement, et en échange de faire un travail pour le collectif ».



Avec plus de 25 000 visiteurs chaque année, le projet trouve son public et séduit la mairie qui rachète le bâtiment et y maintient l’association encore deux ans avant de la reloger rue Oberkampf, dans un espace radicalement différent : un grand commerce sur rue. Le site ne permettant plus d’accueillir les artistes ni de loger les SDF, la Petite Rockette est contrainte de faire évoluer son activité. L’équipe décide alors d’ouvrir une ressourcerie : un magasin où des objets, destinés à être jetés, sont récupérés puis rénovés ou transformés avant d’être revendus à faible coût. « Cette activité nous permettait de créer des emplois pour les SDF, donc des salaires, afin qu’ils puissent accéder à des logements. Mais à l’époque, on ne savait même pas ce qu’était une ressourcerie. En 3 mois, on a dû tout apprendre ». Si l’activité change, les valeurs restent les mêmes, avec en fil rouge la volonté d’être un acteur pivot du quartier et une phrase qui revient souvent, comme un mantra : « ne pas oublier d’où l’on vient. C’est le squat qui nous a forgé ». C’est dans ces murs que malgré les difficultés, les galères traversées par certains, la Petite Rockette et son collectif ont pu grandir.



Alors, fidèle à son esprit de solidarité, l’association embauche parmi son équipe des personnes très éloignées de l’emploi et tisse des partenariats avec de nombreuses associations locales. Elle redistribue vêtements et couvertures à une association de maraude, donne machines à laver et serviettes aux bains douches… En parallèle, elle ouvre son café associatif « la Trockette » au sein duquel une équipe de bénévoles cuisine les invendus des épiceries du coin. Le lieu permet également de faire la part belle aux initiatives des habitants. Ateliers, exposition, concerts, projections… « Nous sommes à l’écoute de tous les projets et on essaye d’y répondre au maximum. Quel risque prend-on à laisser une habitante, qui chante habituellement dans sa salle de bain, venir chanter au café ? Elle va forcément être touchante et elle sera super contente… Ce sera une réussite à coup sûr !», soutient Delphine. « Nous sommes installés dans un arrondissement qui compte 165 000 habitants, il y a donc un potentiel énorme. Ce n’est pas la peine d’aller chercher ailleurs : on a toutes les compétences sur place. Mais il faut laisser la porte ouverte. On a tendance à couver les gens, alors qu’en fait ils ont des trucs à dire, ils ont des choses à faire, ils ont des compétences qu’on ignore. Il faut les laisser faire en autonomie ».



Son crédo, la confiance. « Lorsqu’on fait confiance aux gens, on a presque toujours de très bonnes surprises », clame-t-elle. Tout au long de sa carrière, elle va donc œuvrer à déconstruire les aprioris dont elle a elle-même été victime. Doctorante en histoire de l’art, issue d’un milieu plutôt bourgeois, elle est loin de l’image que beaucoup se font des squatteurs. Mais les stéréotypes sont tenaces. « J’ai assez vite milité, car quand je passais les portes du squat les gens de l’extérieur ne s’adressaient plus à moi de la même façon. En fonction de l’endroit où je me trouvais, je n’avais pas le même statut ». Une sensation déplaisante qui fait sa réapparition lorsqu’en 2014, elle devient élue à la mairie du 11e arrondissement de Paris. « Ca a été dur au début. Jeune, femme, grande gueule, issue du milieu alternatif, je n’ai pas toujours été bien accueillie ». D’autant qu’elle ne se destinait pas à une carrière politique. Fervente militante associative, mais non politisée, elle est repérée par les Verts qui lui proposent une place sur leur liste. A l’issue des élections, à la faveur d’une alliance avec le PS, elle est parachutée maire adjointe à la jeunesse. « Au début, je ne comprenais pas ce qu’on attendait de moi. Je suis arrivée dans un bureau vide, avec un ordinateur vide, sans personne pour faire une passation, après une formation de trois heures sur le fonctionnement de l’administration. J’étais complétement perdue. Avec le temps, j’ai compris ce qu’était mon rôle d’élu local : lancer des initiatives et mettre en réseau les acteurs du territoire. J’ai mis du temps, alors que c’est à peu près la même chose que ce que je fais à la Petite Rockette». 
 


Créer des ponts, entre habitants, entre acteurs d’un territoire, susciter la rencontre, la co-construction… C’est incontestablement ce qui a contribué au succès fulgurant de la Petite Rockette. Ouverte en 2011 avec 3 salariés dans un local de 300 mètres carrés prêté par la mairie, elle est aujourd’hui devenue la plus grande ressourcerie de Paris, loue un espace de 1200 mètres carrés et compte 17 salariés et 25 bénévoles aux profils volontairement très variés. « Cette mixité des salariés, des bénévoles et des publics, est non seulement essentielle pour l’équilibre de l’association, mais c’est aussi ce qui fait sa force ». C’est à cette condition que la Petite Rockette est devenue un acteur incontournable de son quartier, mais aussi de sa ville. Car si aujourd’hui la mairie de Paris a changé de ligne politique, faisant de l’occupation et de la valorisation des friches une de ses actions phares, les associations issues du milieu alternatif comme celle de La Petite Rockette n’y sont certainement pas étrangères. A travers leurs projets, celles-ci ont semble-t-il contribué à démontrer que l’occupation des lieux laissés à l’abandon pouvait constituer une vraie plus-value pour la vie de quartier et que le local et l’humain ferait battre le cœur de la ville de demain.
 
Joachim Reynard
 
 
Credit photo : Sophie Pasquet, Fondation de France, Hans Lucas