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Catherine de la Hougue - Les enfants et les enfants d’abord

Juge des enfants - Présidente - Association Parentibus
Portrait

L’allure est décidée et le ton ferme, mais les yeux qui pétillent derrière de petites lunettes rondes et le foulard coloré dénote d’un certain anticonformisme… Difficile d’échapper au dynamisme communicatif de Catherine de la Hougue, avant de découvrir sa volonté sans faille. Depuis près de 50 ans, Madame le juge a voué sa vie personnelle, professionnelle et aujourd’hui associative au bonheur des enfants. Mère de sang d’un garçon et trois filles, elle l’est également de cœur pour les douze autres qu’elle et son mari ont accueillis au grès des circonstances dans leur foyer. Et c’est avec la même passion qu’elle devient à 58 ans juge pour enfants avant de fonder, 10 ans plus tard à l’heure de la retraite, l’association Parentibus (voir fiche apriles) qu’elle préside.
 

« J’ai grandi dans une belle famille, même si ce n’était pas facile d’être la quatrième de neuf enfants, dont six frères », se souvient celle qui est aujourd’hui la généreuse grand-mère d’une ribambelle de petits enfants . « Mon père, polytechnicien, était ingénieur à la SNCF et ma mère, après des études d’assistante sociale et d’infirmière, était maman à plein temps. C’était une femme très sociable, qui aimait la vie et nous a transmis des valeurs de partage, d’amour et de respect d’autrui. Je lui dois beaucoup. » Une maman hélas partie trop vite : Catherine a 18 ans lorsqu’elle décède et c’est tout naturellement vers elle, qui a déjà redoublé quatre fois, que son père se tourne pour s’occuper de la fratrie, dont le plus jeune a alors cinq ans. « D’un coup, j’ai perdu mes amis, j’ai dû abandonner les initiatives que nous avions lancé avec des jeunes de la paroisse, et j’ai fini par quitter le lycée devant l’incompréhension de certains professeurs ».

Mais pour autant, la jeune fille n’entend pas se laisser enfermer à la maison. Elle devient vendeuse de librairie à deux pas du domicile familial, découvre le plaisir de lire, cultive son goût du contact et soucieuse de s’assumer, passe un CAP. Ce même désir d’indépendance la pousse à se marier rapidement, à préparer son bac alors qu’elle est enceinte de son premier enfant, à multiplier les petits boulots. « J’ai découvert le droit comme secrétaire dans un cabinet d’avocats. C’est eux qui m’ont poussée à reprendre des études alors que je venais juste de divorcer. Avec un job à plein temps et deux enfants en bas âge, c’était épuisant. Entre les études et les enfants, j’ai plus d’une fois fait des choix qui auraient pu me valoir un signalement à l’ASE », plaisante-t-elle aujourd’hui.

Une maitrise de droit et un nouveau mari, « un homme formidable », plus tard, Catherine de La Hougue va alors donner libre cours à son sens de l’engagement. « Je me suis faite virée de l’école de secrétariat où j’enseignais pour avoir parlé syndicalisme et droit du travail aux élèves ! » s’emballe la militante. Un mal pour un bien, car son nouveau poste, au sein d’une association en charge de femmes réfugiées du Sud-Est asiatique va durablement transformer la famille recomposée : « En plein drame des « boat people », j’étais admirative du courage de ces femmes et lorsqu’on nous a sollicité pour recueillir dans notre petit appartement trois jeunes vietnamiens de 6, 8 et 10 ans, mon mari et moi avons dit oui sans hésiter. Comment ne pas offrir à d’autres ce que nous offrions à nos propres enfants ? ». Au total, il y en aura neuf autres, d’âges et d’horizons différents, à retrouver pour plusieurs années ou quelques mois, un peu de force et de sérénité auprès d’une famille qui s’est elle-même agrandie. « A l’exception d’une fois où il m’a demandé de le prévenir plus d’une heure à l’avance quand je ramenais un nouveau gamin à la maison, mon mari comme nos enfants m’ont toujours apporté un soutien indéfectible ! ».



Pas étonnant, dès lors, que la carrière de cette indépendante altruiste prenne une nouvelle tournure. Soucieuse de donner une réalité concrète à ses engagements, elle devient chef d’entreprise pour démontrer que les personnes privées d’emploi peuvent être des salariés comme les autres. Alors qu’elle mène de front la direction de la pâtisserie industrielle qu’elle a fondée en embauchant uniquement d’anciens chômeurs et l’éducation de sa tribu, elle tombe sur une annonce du Monde. La magistrature ouvre un concours exceptionnel. La tentation est trop forte pour celle qui rêve, sans se l’avouer, de devenir juge pour enfants : en quelques mois elle prépare les épreuves, est reçue soixante neuvième des soixante-quinze candidats admis et déménage toute la famille dans l’Est où l’attend un premier poste de juge aux affaires familiales. « Je n’avais pas fait l’école de la magistrature, alors j’ai dû beaucoup travailler pour prouver ma légitimité mais j’ai croisé des collègues formidables qui en échange de mon expérience humaine m’ont fait partager leur expérience en droit ». Elle devient ainsi juge d’instance, puis en charge des tutelles, passe de l’Est à la Normandie, avant qu’un poste de Vice-Président en charge du tribunal pour enfants ne se libère à Coutances.

« Pendant 10 ans, j’ai pu aider des enfants à grandir et des familles à s’assumer. Il faut comprendre, écouter sans juger, savoir dire les choses telles qu’elles sont. C’était souvent dur mais j’ai encore aujourd’hui des contacts avec des familles que j’ai suivies, y compris celles pour lesquelles j’ai dû prendre des mesures difficiles. ». On pourrait penser qu’après un tel parcours, Madame Le Juge méritait bien sa retraite ? C’est compter sans son énergie et la passion qui l’anime : convaincue que beaucoup des situations qu’elle a eu à traiter dans sa carrières auraient pu être évitées par un accompagnement précoce, elle créé avec le soutien de professionnels, d’artistes et de bénévoles l’association Parentibus (voir fiche Apriles sur cette action), qu’elle préside avec la force de conviction qui la caractérise. Et lorsqu’on lui demande d’où elle tire toute cette énergie, elle répond, étonnée : «De ma mère et de son goût de la vie… Et de l’amour, bien-sûr !».

Estelle Camus