Aller au contenu principal
Enfance & Famille

En Australie : Family by Family est un réseau de familles qui aide d’autres familles

Type d'action

  • Développement social
  • Education
  • Inclusion
  • Lien social
  • Parentalité
  • Pratiques professionnelles
  • Prévention
  • Protection de l’enfance

Département

Australie

Sur le vif

« Il y a tellement de gens qui essaient de s’en sortir. Moi je peux leur dire hey tu sais quoi, ta situation n’est pas carrément désespérée car moi aussi je suis passée par là et aujourd’hui, ça va mieux. C’est ça que les familles marraines ont à offrir en fait : elles-mêmes, leur histoire, leur vie », maman de trois enfants et grand-mère, famille marraine.

« Ce programme donne un espoir sur la manière de toucher des familles vulnérables, en se basant sur les forces d’autres familles », un enseignante-chercheuse associée au dispositif.

« Chaque jour, la résilience des familles ne cesse de m’impressionner. Les gens peuvent vivre l’horreur et malgré tout, continuer à avancer », un coach des familles.

Porteur(s) de l'action

TACSI, le Centre Australien de l’Innovation Sociale, organisation non-gouvernementale

Objectif(s) et bref descriptif

En Australie, pour stopper l’augmentation croissante des informations préoccupantes et des placements, le Centre Australien de l’Innovation Sociale a co-créé, avec des familles, un dispositif de soutien à la parentalité entre pairs. Fonctionnant comme un système de parrainage d’une famille dans sa globalité, le dispositif Family by family pourrait se définir comme un réseau de familles qui aide d’autres familles. Ainsi, des familles marraines viennent en soutien au quotidien à des familles en difficulté. Ces familles parrainées ont la possibilité de choisir leur famille marraine et décident également, avec l’aide d’un professionnel du dispositif, ce qu’elles souhaitent voir changer dans leur vie. Une action qui considère en premier lieu les compétences, forces et la résilience des familles, plutôt que leurs difficultés et accepte une certaine prise de risques.
 

Origine(s)

Le fonctionnement du système de protection de l’enfance australien n’est pas très éloigné du système français à plusieurs différences près. L’Australie est un Etat fédéral, avec un Parlement et une organisation propre dans chacun de ses six Etats. Ainsi, chaque Gouvernement administre le système de protection de l’enfance de son Etat. Les « notifications » correspondent aux informations préoccupantes françaises, à la différence près qu’elles sont bien plus activées par les citoyens ordinaires et les services en contact avec les familles. L’ASE est également bien plus interventionniste qu’en France : l’idéologie du maintien du lien et la recherche de maintien dans le milieu familial y est moins présente qu’en France. Enfin, l’Australie fonctionne sur un modèle communautaire : les collectifs de toute nature (associations religieuses, collectifs culturels de migrants et d’expatriés…) y sont beaucoup plus présents et les citoyens sont globalement davantage impliqués dans la vie sociale, notamment par l’organisation d’évènements et le bénévolat.

Le Gouvernement d’Australie du Sud a créé en 2009, l’Organisation Non Gouvernementale TACSI (le Centre Australien de l’Innovation Sociale) afin de développer des méthodes innovantes pour contribuer à enrayer les inégalités, la pauvreté et la précarité. Dès le départ, l’ambition a été de créer des dispositifs durables, en mêlant différentes approches souvent cloisonnées : la recherche en sciences sociales, les politiques sociales, le développement communautaire, le design social1 et la recherche d’un modèle économique durable.

Dans un contexte d’augmentation massive des informations préoccupantes (un enfant sur cinq, entre 0 et 16 ans, est alors concerné par une information préoccupante), de décès de bébés et d’accroissement des placements, la priorité est d’abord donnée au champ de la protection de l’enfance. En 2010, TACSI recrute donc une cadre locale, équivalent d’une Inspectrice de l’Aide Sociale à l’Enfance, pour devenir la Directrice du programme alors appelé « le projet-familles », ainsi que de deux « designers sociaux ». Différentes phases vont faire émerger le dispositif (cf. photo). D’abord, une phase ethnographique : temps passé avec les familles dans leur vie quotidienne pour comprendre leur manière de vivre, leurs forces, leurs stratégies et où se situent les difficultés. Cette phase a duré plusieurs mois et a permis de repérer un isolement important des familles en difficulté : les familles les plus vulnérables fréquentent plusieurs intervenants sociaux mais ne sont que très peu en lien avec d’autres familles. Par ailleurs, nombre d’entre elles expriment se sentir incomprises des travailleurs sociaux, prescripteurs à leur sens de conseils inadaptés à leur situation et d’injonctions paradoxales. Plusieurs d’entre elles estiment également ne pas être aidées par les dispositifs et ne plus veulent plus être en lien avec un travailleur social quel qu’il soit. Une seconde phase succède à ce travail ethnographique : le « co-design ». Il s’agit de faire émerger, avec les familles, des solutions pratiques pour l’amélioration concrète de leur vie. Les différents scénarii sont ensuite prototypés. Enfin, une phase de choix parmi les différentes solutions trouvées a lieu, en les expérimentant à petite échelle (ce qui permet de faire émerger le dispositif Family by family).

Description détaillée

Les familles comme moteur du changement social, les professionnels en soutien en arrière-plan

Le dispositif Family by family met en lien, sur la base du volontariat, des familles vulnérables, précaires ou en difficulté « qui veulent changer quelque chose dans leur vie » avec d’autres familles (appelées familles-partage) qui ont « par le passé connu des difficultés mais qui vont mieux aujourd’hui ». Ce lien de parrainage dure de 10 à 30 semaines en fonction des objectifs choisis par la famille : par exemple, connaître les environs de chez moi et apprendre à me déplacer (10 semaines), que mes enfants fassent leurs devoirs (20 semaines), moins de conflits à la maison (30 semaines). Afin d’atteindre ces objectifs les familles parrainées et les familles marraines partagent des temps de vie ensemble : elles se rencontrent et s’appellent régulièrement, partagent des activités, partent en vacances ensemble... Ainsi, contrairement aux dispositifs « classiques » à destination des familles, ce ne sont pas les professionnels qui, via leurs conseils, amènent les familles à modifier leurs comportements, mais bien d’autres familles qui permettent d’instiguer le changement. En fréquentant et en observant une autre famille avec d’autres habitudes, d’autres manières d’interagir avec les enfants, les familles parrainées sont amenées à modifier leurs manières de faire (« rôle model »).
Pendant toute la durée du parrainage, les professionnels de TACSI sont très peu en lien avec les familles parrainées. Seuls trois moments de contact ont lieu : au début pour fixer les objectifs, au milieu du parrainage pour faire un bilan à mi-parcours et à la fin pour mesurer les changements pour la famille. A contrario, les professionnels sont très en lien avec les familles marraines, qui sont accompagnées pendant toute la période du parrainage. A l’entrée dans le dispositif, elles bénéficient de trois jours de formation (« training camp ») : via des jeux de rôle, les familles partagent leurs savoirs-être en envisageant différentes situations qui pourraient se produire dans le parrainage et les manières d’y réagir. Cette formation est par ailleurs l’occasion pour les professionnels de vérifier si le recrutement des familles marraines choisies est approprié, avant de les mettre en lien avec une famille parrainée : valeurs communes (tolérance, ouverture d’esprit, partage, etc), résilience, capacité à accompagner et stabilité relative des familles (« elles connaissent plus de hauts que de bas »). Il est déjà arrivé que, lors de ce temps de formation, l’association s’aperçoive qu’une famille n’est pas en mesure d’accompagner une autre famille. Elle peut alors reporter ou retirer sa participation au dispositif. Il est également arrivé qu’une famille, considérée comme trop en difficulté, devienne finalement famille parrainée, avant de devenir famille marraine. Pendant le parrainage, chaque semaine, les familles marraines échangent également pendant deux heures, en groupe de quatre. Animés par un professionnel (appelé « coah des familles »), ces temps visent à partager les éventuelles difficultés rencontrées dans le parrainage, monter en compétences sur des problématiques spécifiques (autisme, handicap, etc) et co-élaborer des solutions.

Un recrutement atypique

La plupart des professionnels de l’équipe n’ont pas un parcours de travailleurs sociaux « classique ». Ce sont des personnes de la société civile, souvent en lien avec le milieu éducatif. Ils sont davantage recrutés pour leurs savoirs-être et leur expérience de vie : art thérapeute, professeur des écoles, coiffeuse, etc. Les entretiens de recrutement se font en présence de familles qui ont le dernier mot sur le choix. Les familles marraines sont principalement recrutées lors d’évènements organisés sur le terrain : stands au Mac Donald, à l'équivalent de Lidl, etc. Les familles parrainées sont, quant à elles, soit recrutées lors de ces évènements, soit orientées par des partenaires locaux publics ou associatifs. Leur participation se fait sur la base du volontariat.



S’appuyer sur l’expérience et les compétences des familles

Le dispositif révèle d’une lecture peu classique des forces et des difficultés familiales. Effectivement, les familles marraines sont des familles qui ont traversé des difficultés de différente nature (violences conjugales, handicap, grossesse précoce, alcool, toxicomanie, errance, chômage, migration, ...). Elles sont choisies pour leur connaissance de ces difficultés, leur ouverture d’esprit, leur envie de partager et surtout pour leur résilience et les comportements qu’elles ont mis en place pour faire face aux obstacles. Il n’en demeure pas moins que plusieurs de ces familles marraines, dans une lecture « classique » des difficultés familiales, pourraient probablement être considérées comme fragiles et nécessitant une intervention ASE en milieu ouvert. C’est pourquoi le dispositif prend en compte en permanence les évolutions des familles marraines et continue à évaluer, tout au long du dispositif, si elles sont bien en mesure d’accompagner une autre famille. Les familles marraines peuvent accompagner une autre famille si « elles connaissent plus de hauts que de bas ». D’ailleurs, elles se fixent également un objectif à atteindre pendant le parrainage. Cette expérience de pairs-aidance vient ainsi autant nourrir la famille marraine que la famille parrainée.

Les ingrédients principaux du succès

Plusieurs facteurs peuvent expliquer que ce dispositif fonctionne :

  • La co-création : Family by family correspond aux besoins des familles, puisque dès le début, il a été créé, testé, prototypé avec elles.
  • La reconnaissance des familles comme expertes et le soutien entre pairs : les familles marraines sont les mieux placées pour guider les familles en difficulté puisqu’ayant vécu une situation similaire. La résilience, les acquis de l’expérience des familles marraines sont ainsi transmis aux familles parrainées, qui ne se sentent pas jugées par un travailleur social dont elles ont parfois l’impression qu’il ne les comprend pas.
  • Une approche des familles par les compétences et la résilience : au lieu de regarder ce qui reste encore à travailler chez les familles marraines, le dispositif se focalise sur le parcours réalisé, la résilience qui en découle et les changements déjà produits. Cela suppose d’accepter que ces familles sont imparfaites, ne sont pas des exemples à suivre en tant que tel mais qu’elles ont déjà beaucoup à partager et à transmettre.
  • La place accordée au choix : les familles parrainées ont le pouvoir de décider pour elles-mêmes. Elles peuvent en effet choisir leur objectif, la famille qui va les parrainer, la durée, la fréquence et la forme des liens de parrainage.
  • Une approche systémique : Contrairement aux dispositifs de parrainage qui ne concernent que l’enfant ou aux dispositifs ASE mettant l’accent sur l’accompagnement des parents, Family by family voit la famille comme un système global, avec interactions à multiples niveaux. Les enfants des familles marraines ont ainsi un rôle primordial et contribuent également au changement social. Ils n’ont pas à proprement parler de mission d’accompagnement, mais contribuent via leur présence et leur façon d’être à produire des changements de comportement chez les enfants parrainés et par extension, chez les parents. Par exemple, des enfants qui passent leur temps sur les écrans apprennent des autres enfants à jouer dehors, à jouer à des jeux de société, etc.
  • Un soutien 24h/24, 7j/7 : Les professionnels sont disponibles pour venir en soutien aux familles marraines à n’importe quel moment ; de même que les familles marraines pour les familles parrainées : « Contrairement aux services, les familles n’ont pas d’horaires d’ouverture qui excluent quand tu as vraiment besoin d’elles : soirs et weekends. Les familles, elles, ne ferment jamais ». Sue, maman parrainée.
  • La durabilité du changement social : Le dispositif se base sur des études sociologiques sur la manière de produire le changement social et les conditions de son maintien dans le temps. Les parrainages sont ainsi constitués de trois phases : 1)construire la confiance et apprendre à se connaître 2)faire avec 3)faire sans.

A Year in the Life of Family by Family from TACSI on Vimeo.

Bilan

Entre 2012 et 2019, 1500 familles ont pris part au dispositif.

L’un des atouts majeurs du dispositif, est de produire du changement social également chez les familles marraines, et non uniquement chez les familles parrainées.

D’un point de vue global, il a été constaté que le dispositif permet de :

  • Prévenir l’entrée dans le dispositif de protection de l’enfance 
  • Prévenir les placements
  • Rompre l’isolement social
  • Soutenir le retour à l’emploi et la reprise d’études (cela concerne surtout les familles marraines)
  • Soutenir l’accès aux droits, particulièrement dans le logement

80% des familles marraines et parrainées ont pu dire que leur participation avait permis à leur famille « d’aller beaucoup mieux ». D’un point de vue individuel, les familles ont pu dire que le dispositif leur avait permis :

  • D’avoir plus confiance, d’être moins stressées
  • De mettre en place de nouvelles habitudes familiales, de faire diminuer les conflits
  • De sortir de chez elles, d’apprendre à se déplacer, d’être moins isolées

Linda, mère de 4 enfants qui avaient été l’objet de 24 informations préoccupantes en 3 ans, parrainée, témoigne : « C’est fantastique d’aller au Tribunal en sentant du soutien derrière moi et qu’on ne me prenne pas mes enfants. Je regarde le futur de manière moins sombre maintenant et mes enfants sont plus heureux ».

Le dispositif a été récompensé à de nombreuses reprises au niveau national, que ce soit concernant l’innovation sociale ou le design social.

Partenaire(s)

Les communautés sont très fortes en Australie. Pour fonctionner, le dispositif a donc besoin d’être très ancré au niveau local. Family by family dispose ainsi de partenariats multiples : publics comme l’ASE locale, les Villes et associatifs qui seraient l’équivalent de la Croix Rouge, le Secours catholique, les associations communautaires et de quartiers, etc. Ces partenariats sont d’une part, financiers et d’autre part, permettent le « recrutement » des familles. Le dispositif bénéficie aussi de partenariats spécifiques avec des associations Aborigènes, public très éloigné des dispositifs d’action sociale.

Moyens

Humains : Neuf professionnels travaillent aujourd’hui à temps plein sur le dispositif.
Financiers : Une indemnité de 400 dollars australiens est versée chaque mois aux familles marraines, par famille parrainée (maximum trois en même temps), pendant la période de parrainage, soit l’équivalent de 170 euros, si on se base sur l’indice du SMIC australien.

 

1. Le design social est une discipline qui met les méthodologies de conception au service des enjeux sociétaux nouveaux, en plaçant l’humain au centre ; il vise ainsi à mieux concevoir l’environnement pour que celui-ci soit adapté aux besoins des personnes. Plus d’informations sur le design social en suivant le lien de cette vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=Ljuq0qEpIR8

Contact

Doris Cholet

Chargée d'étude enfance-famille

Odas

Adresse : 250 bis boulevard Saint-Germain, 75007 Paris

Tél. : 01 44070252

Courriel : doris.cholet@odas.net

*Mention légale : Le contenu de cette fiche relève de la seule responsabilité de l'Agence Apriles et ne peut en aucun cas être considéré comme reflètant la position des partenaires soutenant le projet Apriles.